Elle est chinoise, il est italien. Elle est jeune, il est vieux. Elle est serveuse de bar, il est pêcheur. Elle a 37 ans, il en a 68. Elle s'appelle Shun Li et lui Bepi. Leur amour est impossible dans la cité des Doges. Mardi soir, l'Italie était à l'honneur, cinématographiquement parlant, à l'occasion de la 2e édition des Journées du film européen d'Alger se déroulant du 23 janvier au 1er février 2014, à la filmathèque Mohamed Zinet, à Riad El Feth, et ce, à travers, La Petite Venise dont le titre original est Io sono Li) est le baptême du feu du réalisateur Andea Segre âgé de 38 ans. Car c'est son tout premier long métrage de fiction sorti en 2013. Un cinéaste ayant depuis toujours cherché à s'attacher aux ethnies, aux peuples et aux cultures en marge, dont l'Albanie, avec des documentaires comme Ka drita ?, A metà — storie tra Italia e Albania (A moitié - histoires entre l'Italie et l'Albanie) et L'Albania è donna (L'Albanie est une femme), et l'Afrique, avec un film comme Dio era un musicista (Dieu était musicien), en 2005 à Venise dans le cadre des Journées des auteurs. La Petite Venise a déjà une carrière qui le précède. Il a été salué, en 2012, au Festival international de Bari, par le prix Franco Cristaldi du meilleur film et le prix Lux du Parlement européen. Le pitch ? Shun Li, jeune immigrante illégale chinoise, travaille dans un laboratoire textile de la banlieue romaine pour obtenir ses papiers et réussir à faire venir son fils de huit ans en Italie. Soudain, elle est transférée à Chioggia, petite ville insulaire de la lagune vénète, pour travailler comme barmaid dans une taverne. Bepi, pêcheur d'origine slave surnommé le Poète par ses amis (en raison de sa facilité à composer des vers en un instant), fréquente cette petite taverne depuis des années. Leur rencontre est une évasion poétique de la solitude, un dialogue muet entre des cultures différentes, mais qui ne sont plus lointaines. C'est un voyage au cœur d'une lagune, qui sait être la mère et le berceau d'identités jamais immobiles. Une douce amitié naît peu à peu entre ces deux êtres que tout semble séparer. Mais leurs sentiments dérangent deux communautés qui se rejettent : Italiens et Chinois voient d'un mauvais œil leur complicité naissante. La Petite Venise est porté par des acteurs, Zhao Tao (comédienne fétiche de Jia Zhangke) et Rade Serbedzija (comédien, producteur et compositeur croate d'origine serbe). Les autres acteurs du casting ne sont pas des professionnels. Ce sont de vrais pêcheurs campant des rôles dégageant une générosité. Ce qui donne une beauté dans le simple. Voir Venise et... Sans fioritures ni artifices. L'histoire d'amour de Shun Li et Bepi est rendue impossible par la «bienpensance» des Italiens voyant les Chinois comme des «envahisseurs» vivant en autarcie et des Chinois se sentant des étrangers, ostracisés et méprisés. Parce que tout simplement différents. Andrea Segre imprime une pointe de poésie dans un univers insulaire de la lagune qui ne fait pas de la figuration. Au contraire, actrice marine et verte, toisée par des hauteurs au manteau de neige, filmée en hiver, et ce, pour exprimer cette atmosphère maussade, triste, neurasthénique, iodée… Et puis, ce vague à l'âme de la récession, le chômage, le désespoir, la perte de valeurs cardinales, la montée du racisme ordinaire dans la société européenne. La Petite Venise est un regard actuel et un prétexte à montrer le métier de pêcheur à travers de belles cartes postales et des séquences éloquentes unissant Shun Li et Bepi pour un moment volé à l'intolérance, à l'ineptie et à la bêtise humaine. Deux êtres seuls au monde, un homme et une femme, deux humains. Une belle leçon de tolérance à méditer !