Le ministère de l'Intérieur a réitéré hier son intention de ne pas accorder d'autorisation de réunion aux partisans du boycott de la prochaine élection présidentielle. Des partis politiques et des candidats dénoncent une énième atteinte à la liberté d'expression, notamment dans ce contexte censé être ouvert au débat. Les partis politiques qui ont décidé de boycotter la Présidentielle d'avril prochain ne pourront pas faire campagne pour défendre leur position. C'est ce qu'a révélé le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, Tayeb Belaïz, mardi au Sénat. En déclarant que «les autorisations et les salles ne seront accordées, durant la campagne, qu'aux candidats dont les dossiers ont été validés par le Conseil constitutionnel», le ministre de l'Intérieur a mis à profit le texte de la loi électorale adopté en 2012 et qui offre toutes une panoplie de lois restrictives qui permettent au gouvernement d'encadrer les élections et d'empêcher tout débordement du cadre fixé. Il lui permet d'éviter une contre-campagne comme celle que veut mettre en place le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) et le Mouvement de la société pour la paix (MSP), qui ont décidé d'activer sur le terrain pour promouvoir le boycott. «Les services du ministère de l'Intérieur ont très bien exploité le texte de loi sur la loi électorale», explique Fatiha Benabbou, professeur à la faculté de droit d´Alger, spécialiste de droit constitutionnel qui ajoute que les partis politiques «ont fait une lecture formelle du texte de loi qui s'adresse essentiellement qu'aux candidats. Le texte de loi fixe les conditions qui définissent un candidat. Pour le texte, les candidats sont ceux que le Conseil constitutionnel (CC) considère comme tel et dont les noms seront affichés par décision du CC et publiés au Journal officiel. Tout ceux qui ne remplissent pas cette condition sont hors jeu». Ce que confirme Mohamed Talbi, directeur général des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'Intérieur, qui a rappelé hier, lors d'une conférence de presse, que «les 3250 salles seront attribuées seulement aux candidats confirmés par le Conseil Constitutionnel». En outre, le gouvernement peut s'appuyer sur la fameuse loi de 1990 sur les réunions et manifestations électorales qui oblige les partis à formuler une demande auprès du ministère de l'Intérieur pour obtenir une autorisation. «Même si le RCD ou le MSP décidaient de louer une salle pour faire campagne pour le boycott, il ne pourraient pas le faire car ils devraient au préalable demander une autorisation pour se réunir, qui leur sera refusée», résume un ancien cadre du ministère de l'Intérieur sous couvert de l'anonymat. Pour Fatiha Benabbou, les partis politiques ont une part de responsabilité dans la situation actuelle ; elle rappelle que la liberté d'expression est directement garantie par la Constitution (art 41) sans aucune limite et ne peut être remise en cause par aucune autre loi : «Les formations politiques se sont laissées piéger. Elles n'ont pas relevé lors de la promulgation de la loi électorale cette contradiction avec cet article de loi de la Constitution.» Au niveau des partis politiques, la décision du ministre de l'Intérieur est fortement contestée. Pour Atmane Azzouz, secrétaire national chargé de la communication du RCD, il n'est pas question de capituler : «Cette interdiction annoncée par le ministre de l'Intérieur est arbitraire et indigne d'une institution censée garantir l'impartialité et la transparence d'une élection. Aujourd'hui, nous sommes face à des conditions de compétition électorale biaisées d'avance. Ce n'est pas parce que les résultats sont déjà actés au sommet pour maintenir le statu quo que la majorité de la classe politique, qui rejette le prochain carnaval, ne va pas s'exprimer.» Pour le candidat à la Présidentielle Soufiane Djilali, président de Jil Jadid, cette décision relève de la contradiction dont fait preuve depuis toujours le pouvoir et renseigne, également, sur la peur du régime face à l'éventualité d'un très fort taux d'abstention. «Ce régime panique quand deux partis, qui ont décidé de boycotter l'élection, ont résolu de mener campagne pour le rejet de cette Présidentielle. Mais en même temps, c'est un pouvoir qui a tout fait pour dégoûter les Algériens de la politique.» Pour sa part, Lotfi Boumeghar, directeur de la communication du candidat Ali Benflis, renvoie dos à dos le ministère de l'Intérieur et les partis politiques qui ont décidé de boycotter la Présidentielle. «Toute opposition a le droit de s'exprimer, déclare Lotfi Boumeghar. Chacun a le droit d'assumer ses positions, même si nous ne nous sommes pas dans cette logique.»