Se déplacer en voiture dans les grandes villes, notamment à Alger, est devenu un vrai calvaire et les heures passées pare-choc contre pare-choc ne sont pas sans conséquences sur les sept millions d'automobilistes qui circulent quotidiennement, de 6h à 22h, sur le territoire national. Alger à elle seule accueille quotidiennement plus de 4 millions de véhicules, alors que ses routes peuvent en supporter à peine 100 000 par jour. Mais au-delà de ce que génèrent les embouteillages comme pollution, stress, agressions sonores, invectives et perte de temps, se profile un lourd coût économique pour la collectivité.«Une perte de temps qui nous fait perdre de l'argent», déclare un chef d'entreprise à Alger, selon qui les embouteillages génèrent des coûts directs et indirects. «L'état des routes et les embouteillages conditionnent nos déplacements. Il est devenu très difficile d'organiser sa journée, de respecter les rendez-vous fixés avec nos partenaires commerciaux et de rester crédible, sans parler des retards pour la réception de la marchandise, du gaspillage de carburant et des frais d'entretien mécanique des véhicules. Mais aussi les frais médicaux dus aux problèmes de santé pouvant survenir à cause de la posture assise dans une voiture, des douleurs au dos par exemple», assène t-il. Baisse de productivité, absentéisme, retards,… De son côté, Farida Ouar, directrice technique de l'entreprise Eurl ExpoEd évoque la baisse de productivité au travail étant une autre conséquence du phénomène en question. «Notre entreprise fonctionne quasiment au rythme des engorgements, au lieu d'avoir 8 à 9h de travail effectif par jour, nous travaillons seulement 3 à 4h et le reste du temps nous sommes coincés derrière notre volant», explique-t-elle. Pour sa part, Hichem. S, représentant commercial dans une entreprise industrielle située à Chéraga affirme que l'exercice de certains métiers est devenu très compliqué : «Prospecter des clients particulièrement à Alger est devenu un cauchemar. En effet, le temps alloué aux déplacements devient de plus en plus long et certaines régions sont quasiment inaccessibles, je parle bien sûr d'El Biar, Chéraga, Bab Ezzouar…», déclare-t-il. En outre, le fait que certaines régions soient quasiment inaccessibles, cela n'est pas sans conséquences sur les entreprises et commerces qui y sont implantés. En effet, certains ont été contraints de déménager, c'est le cas du cabinet de conseil et de formation professionnelle Directrice Jurex Itek. «Nous avons changé de bureau à cause de la circulation pénible à Draria, qui a d'ailleurs la réputation d'être toujours bouchée. Nous sommes actuellement à Ouled Fayet qui a l'avantage d'avoir plusieurs accès», atteste Amira Hamdad, la directrice du cabinet, en ajoutant : «Pour notre cabinet d'Oran, nous avons loué un bureau au centre-ville, mais nos clients ont refusé de s'y rendre à cause des difficultés d'accès, nous avons été obligés de le délocaliser et cela a généré beaucoup de frais.» Selon notre interlocutrice, certains employés renoncent même à travailler dans des régions où les conditions de circulation sont difficiles, «de mon expérience, une employée a démissionné à cause de notre déménagement», dit-elle. L'exemple de cette employée n'est peut-être pas courant étant donné le taux de chômage qui reste élevé, mais ça reste une éventualité à prendre en considération. Si très peu d'employés démissionnent, nombreux sont ceux qui multiplient les retards et absences, «nous avons été obligés de renvoyer plusieurs employés à cause des retards et absences. Nous sommes conscients qu'il s'agit d'un problème national et qu'il devient de plus en plus difficile d'arriver à l'heure, mais nous estimons que cela relève de la responsabilité de l'employé, nous avons une entreprise à faire marcher et pour cela nous avons besoin de gens sérieux sur lesquels on peut compter», déclare un chef d'une entreprise située à Hussein Dey. Tramway, métro… des solutions nécessaires mais pas suffisantes De leur côté, les chauffeurs de taxi se plaignent du fait qu'ils passent de longues heures sur des trajets courts : «Avant, les encombrements étaient constatés uniquement durant les heures de pointe, ces dernières années cela dure jour et nuit. Nos recettes sont maigres par rapport aux coûts en temps et en énergie engagés, sans parler des impacts sur notre santé physique et psychologique», nous a confié un chauffeur de taxi rencontré à Ruisseau, en ajoutant : «Les moyens de transport alternatifs à la voiture qui sont disponibles en Algérie ne peuvent pas répondre à l'ensemble des besoins en mobilité». En effet, nos autres interlocuteurs nous l'ont confirmé, chez nous il est indispensable de se déplacer en voiture, «les transports en commun sont fortement insuffisants en nombre, voire inexistants dans certaines périphéries et même lorsque ces transports existent, la ponctualité laisse à désirer, l'hygiène encore plus», déclare l'un d'entre eux. C'est donc pour cela que le nombre de véhicules en circulation ne cesse d'augmenter en Algérie, selon les déclarations officielles ; à la fin de l'année précédente, le parc national automobile a dépassé les huit millions de véhicules. Il est vrai que le tramway et le métro facilitent les déplacements, mais le peu de lignes desservies par ces deux modes de transport en Algérie minimisent trop leurs apports à la circulations des personnes. Pour certains Algérois, «désormais nous n'avons plus besoin de prendre notre voiture pour nous déplacer au centre-ville. Mais il ne faut pas croire qu'ils nous ont permis de résoudre le problème des embouteillages qui surviennent quel que soit l'itinéraire emprunté et ne suivent aucune logique horaire.» Selon Madani Safar-Zitoun, professeur de sociologie urbaine au département de sociologie de l'université Alger 2, des mesures doivent être prises pour encourager le recours aux transports en commun, tels que la circulation alternée qui autoriserait les véhicules dont le numéro de plaque est pair à circuler les jours pairs, et les véhicules aux chiffres impairs à circuler les jours impairs, ou encore le recours aux amendes pour décourager les citoyens à prendre leur voiture et se garer en ville. Bientôt un conseil interministériel pour désengorger les routes Le problème de la densité de la circulation dans les grandes villes semble susciter un intérêt auprès des autorités du pays. En effet, le ministre des Transports, Amar Ghoul, a annoncé cette semaine qu'un conseil interministériel allait bientôt se réunir pour prendre les mesures nécessaires à la résolution du problème qui, selon lui, ne relève pas du seul ressort du ministère des Transports, d'autres secteurs peuvent jouer un rôle en la matière. Amar Ghoul a également indiqué qu'après l'adoption des recommandations des assises nationales sur le transport tenues en décembre dernier et qui seront soumises au gouvernement pour approbation, certaines mesures incitatives et règlementaires portant sur l'encouragement du transport ferroviaire des voyageurs et de marchandises ainsi que le recours au transport maritime dans les villes côtières seront appliquées en urgence et d'autres à long et moyen termes. Parmi ces mesures, la révision des règles de répartition des lignes de transport, des lignes maritimes relieront ainsi les villes d'Alger, Boumerdes, Zéralda et Tipasa, la réorganisation des lignes saturées en encourageant les exploitants de lignes désertées, la révision du coût des billets de voyage, tous modes confondus, et ce, en tenant compte des conditions sociales des citoyens. La reconsidération des modalités d'octroi du permis de conduire en vue d'adapter ce document aux standards internationaux et de réduire les accidents de la route figure également parmi les mesures. «Dans ce conseil, ils doivent évoquer la multiplication des barrages routiers des services de sécurité qui ralentissement la circulation au lieu de la fluidifier. Aussi le problème de signalisation et le manque de parkings. Il faudrait aussi qu'ils verbalisent davantage les contrevenants qui créent l'anarchie à travers l'usage de la bande d'arrêt d'urgence, les dépassements interdits, l'empiètement sur les autres voies et les arrêts intempestifs. Il est également indispensable de délocaliser les universités et les administrations», déclare un de nos interlocuteurs, en ajoutant : «En attendant que ces mesures et d'autres soient prises et qu'il y ait des infrastructures de communication modernes et des applications TIC intelligentes qui nous éviteraient les déplacements inutiles, les embouteillages continueront à nous faire perdre du temps et de l'argent. Si 10 millions de personnes perdent 3 heures par jour dans les embouteillages, cela représente 7,5 milliards d'heures de perdues chaque année, soit le temps de travail annuel de 3,6 millions de personnes. En plus, cela se répercute sur le fonctionnement de nos entreprises et empêchera leurs dirigeants de consacrer leurs énergies à trouver de nouveaux marchés, améliorer la qualité de leurs produits ou services», regrette notre interlocuteur. L'ampleur du phénomène est mondiale Il faut savoir que l'Algérie n'est pas un cas isolé, l'ampleur du phénomène est mondiale. «Il ne semble pas y avoir de véritable solution», indique l'Institut des transports du Texas (Etats-Unis), selon lequel les embouteillages augmentent partout et dans des agglomérations de toutes tailles. Il y a des exemples plus inquiétants qu'en Algérie. Par exemple, en Chine, plusieurs milliers d'automobilistes se sont trouvés pris au piège d'un énorme bouchon de 100 kilomètres de long, un vrai supplice qui demande plusieurs jours pour en sortir. Dans de tels cas, les conducteurs doivent prévoir nourriture et couchage dans leurs véhicules. En France, une étude menée récemment par INRIX, le principal fournisseur mondial de services d'info-trafic et d'aide à la conduite révèle qu'un automobiliste passe en moyenne 47 heures dans les embouteillages chaque année. Soit une perte de temps et d'argent qui se chiffre à 5,9 milliards d'euros pour le pays. Par foyer, cela occasionnait une perte de 677 euros. En Algérie, il n'y a pas encore de données statistiques sur l'impact économique des embouteillages.