La présence d'espèces de poissons exotiques sur les côtes algériennes est-elle une réalité ? Depuis plusieurs années, nous constatons l'apparition d'espèces inhabituelles dans les prises des pêcheurs, mais ces captures restent exceptionnelles. Depuis plusieurs semaines, des alertes sont données sur les réseaux sociaux ou par voie d'affichage dans les ports sur la présence sur nos côtes d'une espèce de poisson considérée comme dangereuse, car elle renferme une toxine paralysante qui peut conduire à la mort par défaillance respiratoire. Cette espèce de poisson, qui vient d'être identifiée avec certitude par les scientifiques du laboratoire Bioressources marines du Pr Mohamed Hichem Kara de l'université de Annaba, est le Lagocephalus sceleratus, communément appelé poisson-coffre. On lui a donné hâtivement le nom de poisson-lapin ou, en 2011, celui de poisson-lièvre. Appellation qui vient du mot arabe «arnab» (lapin) donnée au Moyen-Orient et en Egypte à une autre espèce de poisson semblable du genre Siganus qui est aussi une espèce invasive qui est à nos portes, selon le Pr Kara. Lagocephalus sceleratus est une nouvelle espèce en Méditerranée. Elle vient de la mer Rouge, de l'océan Indien et du Pacifique. C'est ce qu'on appelle une espèce envahissante, exotique ou encore «espèce invasive» qui est, malgré sa locution, un anglicisme. Ces espèces sont considérées comme nuisibles à la biodiversité des écosystèmes où elles s'établissent. A un point tel qu'à la conférence des Parties de la Convention sur la diversité biologique à Nagoya, au Japon, en octobre 2010, la lutte contre les espèces exotiques envahissantes est l'un des 20 objectifs fixés pour 2020. Inventaires Aux manipulations directes sur les milieux naturels avec les introductions accidentelles ou volontaires d'espèces allochtones, s'ajoutent maintenant les effets du changement climatique qui favorisent la migration et la propagation des espèces vivantes encore plus facilitées dans l'océan mondial. On a estimé à 1400 milliards de dollars les dégâts causés à l'économie mondiale par les espèces envahissantes. On estime à 150 le nombre d'espèces exotiques présentes en Méditerranée (voir interview du Pr Kara) et celles retrouvées le long des côtes algériennes sont au nombre de sept. On en compte plus d'une vingtaine pour les eaux continentales rendues plus vulnérables à cause de leur confinement et leur étroite dépendance de leur approvisionnement hydrique. Le Lagocephamus sceleratus, ou poisson-coffre, bien que cette dénomination est également attribuée à d'autres poissons, vient de l'est. Il a été nettement identifié en 2010 sur la côte orientale de Tunisie. En juillet 2011, on s'en souvient probablement, une fausse alerte donnée à El Kala a fait fuir les estivants. Au total, une dizaine d'individus ont été rapportés par des pêcheurs depuis le début de l'année. D'abord à El Kala, puis à Annaba, ensuite Skikda et pour finir à Chlef. Selon les scientifiques, cette distribution quasi simultanée laisse penser que l'espèce est bien présente le long de toute la côte algérienne. Il devient impératif d'établir des inventaires réguliers de la faune et de la flore aquatiques et de signaler tout nouvel arrivant. Un observatoire régional permanent a été initié par le laboratoire du Pr Kara en 2003. Cette initiative doit être formalisée et généralisée à tout le pays. Pour les eaux continentales, les actions de repeuplement pour l'aquaculture doivent être effectuées en accord avec le code de conduite de la FAO qui recommande l'approche de précaution appliquée aux introductions d'espèces. Une neurotoxine paralysante Tout au long du mois de janvier, la presse a rapporté la découverte de poissons inconnus dans les filets des pêcheurs professionnels. Une première identification avec des guides les a reconnus comme toxiques et l'alerte a été donnée par FCB et affichage. A tort, on les a appelés «poissons lapins». Selon le Pr Hichem Kara de l'université de Annaba, le poisson lapin (du genre Siganus) n'a jamais été signalé sur les côtes algériennes alors qu'il est fréquent sur les côtes orientales tunisiennes. L'examen de deux spécimens de cette nouvelle espèce qui n'ont pu être récupérés que la semaine dernière fait dire au Pr Kara qu'il s'agit du poisson-coffre ou tétrodon, dont une seule espèce (Lagocephalus lagocephalus) existe naturellement en Méditerranée. Celle qui a été retrouvée est Lagocephalus sceleratus), d'origine indopacifique. Elle est entrée en Méditerranée en 2003 via la mer Rouge et le canal de Suez. Elle s'est ensuite propagée dans l'Est de la Méditerranée. Le poisson-coffre renferme une neurotoxine extrêmement dangereuse, la tétrodotoxine, que la cuisson ne détruit pas. Elle se trouve surtout dans les viscères, mais aussi dans la peau et dans les muscles. Consommée par l'homme, elle agit par un blocage sélectif des canaux calciques du nerf et du muscle et entraîne une paralysie rapidement extensive et totale aboutissant à la mort par défaillance respiratoire. Le lac Oubeira, un lac sans vie Dans le cadre d'une opération de valorisation du lac, la première zone humide classée Ramsar par l'Algérie et réserve intégrale du Parc national d'El Kala, le défunt Office national de développement et de production aquacole (Ondpa) a effectué à plusieurs reprises et sans études préalable une série d'introduction de carpe et de sandre qui ont fait de ce plan d'eau frétillant de vie aquatique un grand bassin aux eaux mortes. En juin 1985, 3,15 millions d'alevins appartenant aux espèces Aristichthys nobilis (carpe grande bouche), Hypophtalmichthis molitrix (carpe argentée) et Ctenophraryngodon idella (carpe herbivore) ont été introduits. En avril 1986, un supplément de 3 millions d'alvins de Cyprinus carpio (carpe commune ou carpe cuir ou carpe koï) et de Stizstedion lucioperca (sandre) est effectué. L'assèchement total du lac pendant l'été 1990, dû aux effets conjugués de fortes chaleurs et de pompages excessifs tuant toutes les carpes, n'a pas découragé l'Ondpa qui a récidivé en 1991 par un nouvel empoissonnement du lac avec 1 700 000 alevins de carpe argentée et de carpe grande bouche. Cette introduction a donné des individus gigantesques, jusqu'à 20 kg, qui ont brouté toute la végétation aquatique avant de disparaître à leur tour. La végétation jouait le rôle d'habitat pour des dizaines d'espèces d'invertébrés et de poissons autochtones, comme deux espèces de mulet (Mugil cepahlus et Liza ramada) le barbeau et l'alose.