L'enquête internationale sur l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais, le 14 février 2005 en plein centre de Beyrouth, se poursuit. Jusque-là, c'est le seul élément probant, car les rapports dits d'étape se poursuivent, et à vrai dire, ils ne révèlent absolument rien en ce qui concerne les auteurs de cet assassinat et le commanditaire. En ce sens, le dernier rapport de l'ONU traduit la prudence du magistrat belge Serge Brammertz, chargé de l'enquête, qui s'est attaché à montrer la complexité de l'attentat tout en soulignant la coopération de Damas. Ce rapport a noté que des « progrès considérables » ont été enregistrés et que la coopération s'était renforcée avec Damas, tout en insistant sur le fait que « la coopération totale et inconditionnelle de la Syrie reste cruciale », comme si la clé de l'énigme était entre les mains des dirigeants syriens. Ce qui est quand même lourd à porter pour des dirigeants qui nient toute implication, malgré certaines déclarations jugées peu crédibles comme celle de l'ancien vice-président syrien Abdelhalim Khaddam, passé depuis peu dans l'opposition au président Bachar El Assad. Il s'agit du quatrième rapport d'étape très technique, depuis le début des travaux il y a un an de la commission d'enquête de l'ONU, dont le siège est à Beyrouth. Bien que très attendu, le rapport ne devrait pas avoir des conséquences politiques immédiates, estime-t-on à Beyrouth dans les milieux politiques, car il ne contient pas de révélations sensibles, à l'inverse des rapports du magistrat allemand Detlev Mehlis. Les deux premiers rapports de ce dernier, prédécesseur de Serge Brammertz, désignaient de hauts responsables syriens et libanais et reprochaient le manque de coopération de Damas dans l'enquête. « Au plan politique, ce rapport est prudent et ne cherche à dédouaner personne (...) Visiblement, le juge Brammertz ne cherche pas à provoquer les Syriens car sa démarche est celle d'un expert qui a pour stratégie de consolider les preuves avant de les porter devant un tribunal international, et cela prendra du temps », croit comprendre un diplomate occidental, sous le couvert de l'anonymat. De fait, le chef des enquêteurs s'est dit favorable à une prolongation d'un an du mandat de la commission, comme l'a demandé le Liban. Rendant compte de la complexité du travail de la commission, le juge indique dans son rapport que « 24 enquêtes sont en cours » dans cette affaire et que « 32 demandes ont été présentées à 13 Etats (dont la Syrie), ce qui met en lumière l'aspect international de cette enquête ». Poursuivant son enquête approfondie des circonstances qui ont mené à l'assassinat de Hariri et de 22 autres personnes, la commission « a tout récemment terminé une enquête scientifique de 23 jours sur les lieux du crime », sur le front de mer de Beyrouth. Une immense tente érigée à cette fin par les enquêteurs a été démantelée il y a quelques jours devant l'hôtel St-Georges où a été perpétré l'attentat. Selon l'enquête, l'explosion de la voiture piégée a nécessité « une charge équivalant à un minimum de 1200 kg de TNT », ce qui privilégie un attentat en surface et non souterrain. Plus important, le rapport n'exclut pas « la possibilité qu'il ait pu y avoir plus d'une raison de tuer Rafic Hariri » et la commission examine « diverses hypothèses dont les degrés de complexité sont différentes ». Il évoque notamment des motifs politiques, une vengeance personnelle et des raisons financières. A ce propos, la commission « étudie toujours l'hypothèse d'un impact » de la faillite frauduleuse de la banque libanaise Al Madina sur l'assassinat de Hariri, notamment le fait que des sommes d'argent « provenant de la banque aient pu transiter pour financer » l'attentat. Enfin, elle « examine toujours la possibilité que l'attentat ait été commis par un seul groupe muni d'un seul objectif (...) ou au contraire d'individus ou de groupes divers, ayant des motifs différents, œuvrant ensemble pour commettre le même crime ». En attendant les conclusions que tirera le Conseil de sécurité destinataire du rapport, le Premier ministre libanais Fouad Siniora s'est félicité du travail « professionnel, indépendant et impartial » du magistrat chargé de l'enquête. « La question n'est pas de comparer le rapport de Brammertz à celui de son prédécesseur Detlev Mehlis, car chacun a sa méthode pour faire la vérité sur l'assassinat de Rafic Hariri », a ajouté M. Siniora. Quant au ministre syrien de l'Information, il a indiqué que son pays était « en principe satisfait » de ce rapport. « Le rapport est professionnel jusqu'à un certain point, il s'éloigne de la politisation », a-t-il ajouté dans une première réaction officielle syrienne. Les rencontres de M. Brammertz, le 25 avril à Damas, avec le président syrien, Bachar Al Assad, et le vice-président Farouk Al Chareh « sont une preuve des bonnes intentions syriennes », a assuré le ministre. « La Syrie coopère pour que l'on parvienne à la vérité (sur l'assassinat de Rafic Hariri) et pour trouver les auteurs du crime. L'assassinat de Rafic Hariri, qui était un ami, est un coup porté à la Syrie », a-t-il insisté. Les deux premiers rapports de Detlev Mehlis désignaient de hauts responsables syriens et libanais et reprochaient à Damas un manque de coopération dans l'enquête. Mais déjà, cet assassinat a des conséquences sur le plan politique interne libanais, avec une nouvelle majorité parlementaire qui se qualifie elle-même de souverainiste, et des liens avec la Syrie qu'il faut, cette fois, envisager dans le cadre d'une reconnaissance de la souveraineté et de l'indépendance du Liban. D'autres questions n'ont pu être réglées faute de consensus.