Dans la vie des médias, faite de tumultes et de tourbillons charriés par le flux incessant d'informations, il est toujours salutaire de faire une halte pour regarder le vrai reflet de cet observateur des autres qu'est le monde médiatique. C'est en se regardant que l'on arrive à se corriger et la vie des médias en Algérie mérite bien le détour tant il y a beaucoup de choses à dire sur toutes ces étapes charnières qui l'ont vu évoluer de la période du parti unique à celle du multipartisme, pour arriver à cette époque hybride de multiplicité dans le parti-Etat. Belkacem Mostefaoui, professeur à l'Ecole nationale supérieure de journalisme et des sciences de l'information d'Alger, a servi dans un ouvrage témoin, qui vient de paraître aux éditions Dar Othmania, non pas un miroir aux alouettes mais un vrai miroir reflétant 50 années d'une existence chargée de controverses. «On ne peut donner à ceux qui gèrent l'information de quitus pour le passé, de blanc-seing pour le présent et de chèque en blanc pour l'avenir», note Me Ali Yahia Abdennour dans la préface du livre intitulé Médias et liberté d'expression en Algérie. Belkacem Mostefaoui livre une analyse critique de ce que sont les médias algériens sous la forme d'un essai assorti d'outils pédagogiques destiné au grand public, aux gens de la presse et aux étudiants en journalisme qui construiront le futur visage des médias en Algérie. «Deux séquences principales tracent notre manière de voir l'évolution du credo de liberté d'expression en Algérie. Le premier âge est marqué par la férule du parti unique, le FLN, alimentant d'idéologie un Etat autoritaire et rentier de la manne pétrolière. Le second est en cours depuis le début de la décennie 1990, il présente des signes d'ouverture contrôlée par le pouvoir et d'une emprise toujours plus forte du pouvoir de l'argent sur le sens à donner à la liberté d'expression via les médias. Qu'on ne se méprenne pas : il n'y a pas eu césure directe mais évolution», note M. Mostefaoui dans cet ouvrage très didactique et finement documenté. L'auteur, qui remarque une poussée de la logique marchande, estime que «nous avons le devoir d'éthique d'attirer l'attention que le détournement du fleuve du mouvement de Libération nationale a déterminé insidieusement et profondément une base de pratiques sociales des médias qui n'a pas éduqué ou accoutumé les citoyens à rechercher en eux de véritables chemins de liberté. Une preuve dans les réalités : la nation algérienne n'a jamais connu un service public de l'audiovisuel alors que se profile une nuée de radios et télés commerciales privées ‘‘nationales''». Dans une rétrospective bien fouillée de ce qu'a été la presse algérienne sous le joug du parti unique, l'auteur évoque aussi le cas de l'hebdomadaire Algérie Actualité qui jouissait d'une ouverture contrôlée. Il passe aux tentatives de regroupement au sein du Mouvement des journalistes algériens (MJA), et constate que «le principal écueil auquel continuent de se heurter les journalistes algériens, plus de deux décennies après l'émergence du MJA, c'est la difficulté de créer un tissu associatif qui pourrait leur permettre de prendre plus de distance vis-à-vis du pouvoir de l'Etat mais aussi des nouvelles oligarchies conquérantes du cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie». Balayant de son analyse les deux décennies de presse écrite de droit privé, M. Mostefaoui baptise cette période de «marécage du champ d'édition et offre pléthorique de quotidiens». 131 quotidiens déclarés d'édition nationale dont 95 de droit privé, mais il ne faut pas s'y méprendre : il ne s'agit pas de preuve de liberté. «C'est un cas de figure singulier dans le monde, du moins non productif de réelle liberté de la presse pour au moins deux raisons : la pléthore du nombre n'est pas en corrélation avec les indicateurs de qualité éditoriale et de tonalité critique ou de capacité de rendre l'actualité diversifiée du pays. De plus, la presse régionale et locale est quasi inexistante», dit-il. Et d'ajouter : «Les apparences de pluralité des titres sont formelles au regard des déterminations et de la logique de fond au principe de sa production.» Le docteur d'Etat en sciences politiques et en sciences de l'information note que les sociétés d'impression d'Etat gardent la haute main sur la fabrication de la grande majorité des titres. El Watan et El Khabar ayant acheté leur propre rotative, «l'opacité qui entoure la gestion des relations commerciales entre ces sociétés publiques d'impression et les clients éditeurs privés est telle que ne ressortent de temps à autre que des bribes d'infos sur des factures (faramineuses) impayées», indique M. Mostefaoui. L'auteur, qui dresse un portrait sans complaisance sur les médias, affirme qu'il «serait réducteur de ne voir qu'un seul facteur à l'origine du marasme actuel de cette presse de droit privé, sinon le marécage dans lequel elle tend à être confinée : celui de la volonté et des actions des pouvoirs publics, souvent décriés et dont tout l'intérêt est bien sûr de la bâillonner, ou mieux encore, l'instrumentaliser. Ces objectifs sont plutôt bien atteints actuellement, après une espèce de rouleau compresseur qui en a bétonné la voie depuis le second mandat présidentiel de Bouteflika. Le fait est que depuis le MJA, vite laminé, la corporation a été éclatée dans sa composante et a du mal à se définir dans une organisation professionnelle fédératrice et efficace pour définir les principes de défense des intérêts moraux et matériels des journalistes». Revenant sur l'appellation «presse privée» ou «presse indépendante», sur les divisions «presse éradicatrice» et «presse réconciliatrice», sur la distribution non équitable et contrôlée de la manne publicitaire, sur l'absence d'une réelle organisation de défense des intérêts des journalistes, sur la bataille de l'information naissante sur Internet et l'offre audiovisuelle indigente et contrôlée, M. Mostefaoui touche du doigt tous les maux des médias en Algérie. Le diagnostic mérite d'être lu et relu afin d'amorcer un nouveau départ salutaire pour l'offre médiatique.