«Ce que nous vivons n'est donc que la partie immergée de l'iceberg.» Au lendemain de la publication par le quotidien français Le Parisien d'une cartographie des retombées nucléaires induites par les essais de l'armée française dans le Sud algérien, les associations de victimes algériennes ne sont pas choquées outre mesure par ces révélations. «Nous savons, depuis des années, qu'un crime contre l'humanité a été perpétré à notre encontre et nous en éprouvons les conséquences quotidiennement», affirme Abdelkrim Touhami, vice-président de l'Association des victimes des essais nucléaires de Taourirt. Pour rappel, ce document, classé secret-défense par l'armée pendant des décennies, vient d'être déclassifié dans le cadre d'une enquête pénale déclenchée par des vétérans des campagnes d'essais nucléaires français dans le Sahara au début des années 1960 et en Polynésie dans les années 1970. La cartographie détaille la chronologie des retombées radioactives treize jours à compter du 13 février 1960, jour de l'explosion de Gerboise bleue, la première bombe atomique, dans le désert de Reggane. Treize jours après l'explosion, le nuage radioactif avait recouvert toute la partie nord du continent africain, atteignant même, au nord, les côtes espagnoles et siciliennes. Ces nouvelles données ne font que «conforter les associations de victimes dans leur combat». Elles ne s'imaginaient toutefois pas que l'étendue des retombées était aussi vaste. «Nous pensions que si des ressortissants du Mali, du Niger et d'autres pays frontaliers présentaient des signes d'exposition aux radiations nucléaires, c'était du fait de leur séjour dans le périmètre», explique M. Touhami. «De même, des tonnes de matériaux infectés ont été récupérés des sites et transportés vers le nord pour être transformés, comme par exemple le cuivre pour la câblerie», poursuit-il. «Il semblerait toutefois que cela ne soit qu'un élément infime des risques auxquels nous avons et sommes toujours exposés», commente quant à lui Ibba Boubekeur, secrétaire de l'association. Une véritable pièce à charge pour la révision de la loi Morin Pourtant, en dépit des nombreuses tentatives de la société civile, l'Etat français n'a jamais reconnu le statut de victimes aux «populations locales». Raison pour laquelle cette archive pourrait représenter une véritable pièce à charge dans le dossier des indemnisations des victimes. «Cela ne va pas relancer nos actions, car nous n'avons jamais abandonné cette cause, mais cela nous permettra d'étoffer nos dossiers», se réjouit M. Boubekeur. «Nous demandons à l'Algérie, en tant qu'autorité et Etat souverain, d'activer dans l'intérêt des milliers de victimes de ces essais. Rien n'a jamais été fait, et ce, même lorsque la loi Morin a été adoptée par le Parlement français. Il est grand temps de demander, preuves à l'appui, des comptes à l'ancienne force coloniale. Et surtout la révision de cette loi Morin», insiste-t-il. Mais bien plus qu'un dédommagement matériel, ce que les associations exigent est une réparation morale, une décontamination des sites mais aussi et surtout le zonage et l'identification des lieux à risques. «Nous ne savons même pas où se trouvent les centres d'enfouissement qu'il est urgent de délimiter», rappelle M. Touhami.
Un dossier pas «clos» pour le ministre des Moudjahidine D'ailleurs, selon le ministre des Moudjahidine, Mohamed Cherif Abbès, le dossier de l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français «n'est pas clos». «Il dépasse le cadre des personnes, car il s'agit aussi de définir les mécanismes de prise en charge de l'environnement pollué et classé comme zone interdite aux personnes», a-t-il expliqué hier à l'APS, en marge d'une visite officielle à Mila. «Le dossier des essais nucléaires effectués par la France en Algérie est lourd, voire difficile, et le débat sur ce sujet n'est pas clos. L'indemnisation dépasse le cadre des personnes et pose aussi le problème de l'environnement qui a été pollué suite à ces essais et qui est classé comme zone interdite d'accès aux personnes», a affirmé M. Abbès, qui précise que les répercussions de ces essais sont «perceptibles au-delà de 40 ans». Cependant, les associations présentent sur place affirment que les zones en question ne sont même pas délimitées et interdites d'accès. Elles estiment d'ailleurs que cette tâche est du ressort de l'Etat algérien et des autorités locales, à qui incombe «l'isolation des zones infectées», rétorque M. Touhami.