Quand la recherche scientifique se met au service de son milieu naturel, l'osmose s'inverse et les rebuts se transforment en produits nobles. Preuve s'il en est avec Abbas Kamarcho, né sous un palmier du Souf qu'il transforme en cartouche défluorisante, voire désodorisante ! Chercheur au laboratoire de la Valorisation et de la promotion des ressources sahariennes (VPRS) de la faculté des sciences et de la technologie et des sciences de la matière à l'université Kasdi Merbah de Ouargla, doctorant en chimie analytique et contrôle de l'environnement, il a une idée précise derrière la tête : trouver des solutions aux problèmes de l'eau dans les régions sahariennes réputées pour être saumâtres, mais aussi le traitement biologique des eaux usées en valorisant les sous-produits du palmier dattier. L'arbre providence du Sahara offre en effet une large gamme de sous-produits agricoles, utilisés traditionnellement à des fins domestiques. Mais le maître-mot de Kamarcho est sans nul doute le ‘‘charbon actif''. C'est le terme qui revient le plus dans sa bouche. Son regard s'illumine dès que vous lui parlez du noyau de datte, il y voit le pivot du traitement des eaux au Sahara et lui redonne ses lettres de noblesse. Un intérêt attisé par le Dr Ahmed Abdelhafid, son encadreur, qui l'a guidé vers les utilisations possibles du noyau de datte transformé en charbon actif. Un outil formidable qu'il aura tout le loisir d'étudier dès 2009 dans la cadre d'un projet de recherche du magistère visant la défluorisation de l'eau potable dans la wilaya d'El Oued où le taux de sel est plus élevé qu'à Ouargla ou Biskra, pourtant voisines. Mih Ouensa, le syndrome des dents marbrées Les individus souffrant de fluorose dentaire ont les dents tachetées et trouées, appelées dents «marbrées». Pour le jeune Abbas, ce sont les images de milliers d'enfants atteints de fluorose des dents dans le Souf et plus particulièrement à Mih Ouensa, sa localité d'origine, qui ont motivé cette recherche acharnée d'un moyen simple et peu coûteux, un matériau disponible qui ne demande qu'à devenir un fabuleux moyen de défluorisation. «A Souf, de petites taches blanches évoluent en marbrures marron sur l'émail des dents, c'est le signe apparent d'une fluorose avancée qui détruit la dent jusqu'à n'en laisser que des débris. Avec le manque de soins, des milliers d'enfants perdent leur beau sourire». En effet, les concentrations excessives de fluorures peuvent perturber le fonctionnement des cellules responsables de la formation de l'émail, ce qui empêche la bonne maturation de cet émail. On sait aussi que l'exposition à des quantités très élevées de fluor cause la fluorose osseuse qui peut fragiliser le squelette et provoquer des maladies osseuses. En atteignant la masse osseuse, la fluorose entraîne des changements dans la structure des os et les rendant extrêmement fragiles et cassants. Elle atteint également le système nerveux, entraînant maux de tête, troubles de la vision et du sommeil. 4 mg de fluor au litre ! La teneur maximale en fluor autorisée est de 1,5 mg/l, or les 8 prélèvements effectués par M. Kamarcho à différents points de la wilaya d'El Oued ont révélé une taux variant entre 1,8 et 4 mg/l. Pire encore, Mih Ouensa ne remporte pas la palme d'or, c'est dans les eaux froides du forage de la zone des Chouhadaa, en plein centre d'El Oued, que la concentration en fluor atteint les 4 mg/l. Une cartouche de charbon actif à base de noyau de dattes «L'expérience menée consiste en la préparation d'une charbon actif élaboré à partir de noyaux de dattes et palmes de dattier qui sont brûlés et façonnés sous forme de cartouches. Résultat : un taux d'adsorption de 44,6% du fluor a été enregistré». Selon notre chercheur, «le charbon actif diminue presque de moitié la teneur en fluor de l'eau et pourrait être adopté par l'Algérienne des eaux dans le cadre de la technique de l'osmose inverse utilisée pour la déminéralisation de l'eau.» M. Kamarcho, qui a sollicité les services de cette dernière dans la cadre de ses travaux, fait remarquer que l'ADE utilise du charbon actif actuellement, car la technique en tant que telle n'a rien d'une nouveauté. Il souligne que «notre apport en tant que chercheurs algériens issus d'une région saharienne où le palmier est la principale source de charbon actif est de valoriser ce produit et prouver son efficacité. Le noyau de datte peut parfaitement se substituer à celui de l'olive, actuellement utilisé comme matière compacte. L'objectif étant évidemment de produire une cartouche de charbon actif locale à base de noyau de datte et de palmes sèches.» L'ADE et l'ONA n'ont qu'à bien se tenir ! L'ADE étant invitée à étudier cette proposition de développer un produit purement local valorisant des rebuts inexploités, Kamarcho, le doctorant, est passé à une étape supérieure. En ingénieur ingénieux, il veut cette fois-ci régler le problème des mauvaises odeurs émises par les stations de relevage des eaux usées qui dérangent la population au centre-ville d'El Oued. Et là encore, c'est une cartouche de charbon actif à base de noyau de datte qui est en préparation. «Nous pensons proposer dans les mois à venir le modèle réduit d'une cartouche innovante qui atténuera drastiquement les mauvaises odeurs», ajoutera M. Kamarcho. Les tests effectués jusque-là ont donné de bons résultas, selon notre chercheur, qui nous promet des données plus précises valorisant les performances du charbon actif de noyau de datte dans le cadre de belles publications scientifiques qui seront publiées en juin 2014. C'est là que les résultats de ces recherches seront validés et que des perspectives d'utilisation effective par l'ADE et l'ONA de ce produit local seront possibles. M. Kamarcho y croit vraiment et pense que les encouragements des gestionnaires de ces deux entités chargées de la gestion des eaux vont dans le bon sens. Dernière précision de notre chercheur : il s'agit d'un matériau biologique respectueux de la nature, abordable et efficace. Seuls deux agents pourront se charger de placer et de remplacer les cartouches pour toute la wilaya d'El Oued et régler définitivement le problème du fluor et des mauvaises odeurs à Souf.