Il a fallu des mois de crise et des morts par dizaines pour qu'un accord politique soit enfin trouvé, et surtout accepté. Encore que cela doive être relativisé, l'accord en question ayant jusque-là été annoncé par le chef de l'Etat ukrainien. En tout état de cause, les conséquences, y compris celles à venir, sont désastreuses non seulement pour ce pays déjà faible, mais aussi pour sa classe politique qui n'a pas toujours été proche des aspirations des Ukrainiens.Il ne fait aucun doute que l'actuel chef de l'Etat a été élu et a donc pu reprendre la présidence de la République que grâce aux voix des déçus du tandem Victor Iouchtchenko-Ioulia Timochenko. Il ne fait pas de doute non plus qu'il pourrait perdre son fauteuil en raison des désaffections que suscite sa politique de répression, jusque dans les cercles les plus proches ou encore son propre parti ; la démission du maire de la capitale en est la preuve. Nombre de responsables politiques ukrainiens se sont effectivement élevés contre le bain de sang de ces trois derniers jours. Douze députés ont eux aussi quitté le Parti des régions. Le Parlement, qui a pour la première fois réussi à former une majorité anti-Ianoukovitch, a voté dans la soirée de jeudi une résolution revenant sur les mesures antiterroristes annoncées la veille par les services spéciaux et ordonnant le retour des soldats dans leurs casernes. L'on parle de meurtres massifs, en tout état de cause, jamais connus dans tous les soulèvements que le continent européen a eu à connaître depuis la chute du mur de Berlin et le vent de changement qui avait accompagné la fin du communisme. En cela, le chef de l'Etat ukrainien a été bien loin même si, en face, l'opposition placée, fait-elle valoir, en situation de légitime défense, a aussi recouru à des armes. «Plus de 60 manifestants ont été tués (jeudi). Tous l'ont été par balle», a déclaré le responsable des services médicaux de l'opposition. «Les manifestants ont été tués de manière très professionnelle par des snipers qui ont visé au cœur, au cerveau ou à la carotide», a affirmé un médecin. Le ministère de l'Intérieur avait précédemment fait état de trois policiers tués jeudi, qui s'ajoutent aux 10 hommes tués les deux jours précédents. A Lviv (ouest), les corps de deux policiers antiémeute ont été retrouvés dans une caserne brûlée, ont annoncé les autorités locales. Autant alors parler de scénario de guerre civile, comme l'a fait le Premier ministre polonais, qui a pu être endigué avec l'amorce de négociations entre Ianoukovitch et des émissaires européens, Moscou faisant valoir que la Russie ne coopérera qu'avec un pays sur lequel «on ne s'essuie pas les pieds», tout en indiquant avoir dépêché un ancien diplomate, Vladimir Loukine, pour participer à une médiation avec l'opposition, et cela à la demande de la présidence ukrainienne. Celle-ci a été courte, mais concluante. M. Viktor Ianoukovitch a annoncé des concessions majeures à l'opposition, dont une élection présidentielle anticipée. «Je lance aussi le processus du retour à la Constitution de 2004» qui réduirait les pouvoirs présidentiels au profit du gouvernement et du Parlement, ainsi que la formation d'«un gouvernement d'unité nationale», a-t-il ajouté. Il accédait ainsi à des revendications majeures de l'opposition, qui manifeste depuis novembre dernier. Quant à l'accord, il a été approuvé par l'ensemble de l'opposition, réunie dans ce qu'elle appelle «le conseil du Maïdan» du nom de la place, au centre de Kiev, occupée depuis trois mois par les manifestants. Un compromis a donc été trouvé. Est-ce donc la fin de la crise en Ukraine, mais surtout quel avenir pour ce pays où les positions des uns et des autres semblaient difficilement conciliables ?