-La situation n'a jamais été aussi limpide ce samedi 22 février 2014 : Le matin à l'hôtel Hilton, les anciens dirigeants algériens du secteur de l'énergie réunis pour le Club Energy à l'occasion du 24 février avertissaient de la fin d'une époque. L'après-midi, Abdelmalek Sellal décrétait à partir d'Oran que cette époque n'est pas révolue. Qu'elle ne peut pas se terminer. Tous les marqueurs d'une distorsion majeure de l'histoire étaient réunis. Les spécialistes alertent au sujet du déclin énergétique carboné algérien, les tenants de la décision politique accélèrent le mouvement de fuite en avant. Signe aggravant de la distorsion, le Premier ministre algérien choisit une conférence sur l'économie verte en Afrique pour parler de la reconduction de l'attelage rentier. L'annonce de Sellal, l'homme qui chuchote avec Abdelaziz Bouteflika et qui en est l'avatar vocal, a chahuté les travaux de la conférence. Cela montre incidemment la grande conviction de l'actuel gouvernement dans l'avenir non carboné de l'économie algérienne. Jamais donc la situation n'a résumé en une caricature le grand écart algérien. Le coût budgétaire du statu quo politique a enflé au fil des mandats de Abdelaziz Bouteflika. Pour le passage en force du 4e mandat, il renverse toutes les colonnes de la comptabilité publique. Sans limite. Or, le grand message de ce 22 février est venu justement de ceux qui ont donné à l'Algérie la clé de cette machine électorale budgétaire. Les pétroliers disent : il y a une limite. Et le profil de production de l'amont algérien dit que nous l'avons déjà atteinte. Abdelaziz Bouteflika ne parle pas. Depuis hier, les Algériens ont compris aussi qu'il n'écoute pas. -L'Algérie a vécu pendant un mois dans le suspense d'un grand clivage : Celui qui existe entre le chef d'état-major de l'ANP suspecté d'être un partisan zélé du 4e mandat présidentiel d'un côté, et, de l'autre côté, le patron du DRS, le général Toufik, à qui il était prêté une réserve vis-à-vis de ce projet de 4e mandat. La division dans l'ANP est certes une préoccupation nationale. Sur le plan stratégique, il y a pire. La division entre les pétroliers aux affaires et les pétroliers hors responsabilité. Les premiers sont à la tête du ministère de l'Energie, de Sonatrach ou de Sonelgaz. Ils sont totalement asservis à l'agenda politique. Ils reproduisent donc le schéma historique du secteur : plus de production d'hydrocarbures, plus d'exportations, plus de subventions pour la massification de l'accès à l'énergie. Ce modèle est mortel. Car insoutenable. C'est ce qu'expliquent les pétroliers qui ne sont plus aux affaires. Donc libres de leur parole. Trois anciens patrons de Sonatrach, Nourredine Aït Laoussine, Nazim Zouioueche et Abdelmadjid Attar, le premier ayant même dirigé le département de l'énergie, sont unanimes sur trois choses. Il y a une grande incertitude sur les réserves d'hydrocarbures récupérables en place, les réserves d'hydrocarbures non conventionnelles n'arriveront qu'à ralentir le déclin de la production conventionnelle et seulement au-delà de 2025, il faut engager un changement de cap immédiat de la politique énergétique algérienne, vers des économies dans la consommation, de la préservation des gisements actuels et futurs, et vers l'énergie solaire pour la génération de l'électricité. Personne de l'actuelle gouvernance du secteur de l'énergie ne les écoute. Les officiels du secteur continuent de faire exactement l'inverse. Les économies d'énergie sont retardées d'année en année avec le maintien de prix scandaleusement bas pour les carburants, et déstructurants pour l'électricité et le gaz. La course à l'exportation ne tient pas compte de la croissance de la consommation énergétique interne, 12% pour le gaz d'une année sur l'autre entre 2012 et 2011. L'intronisation de l'électricité solaire comme moteur du futur mixte énergétique algérien n'est pas à l'ordre du jour en dépit de l'annonce d'un ambitieux programme d'ENR en 2011. Abdelaziz Bouteflika n'écoute pas. Mais Youcef Yousfi fait pire. Il ne dit pas la vérité sur la réalité de son secteur. De ce point de vue, Mohamed Lasksaci, le gouverneur de la banque d'Algérie, sauve l'honneur des grands commis de l'Etat. Il répète que la courbe est insoutenable. -La semaine est triste pour ce qu'elle annonce de sombre pour la gouvernance de l'Algérie dans les prochains mois : Mais pas seulement. Elle l'est aussi parce qu'elle rappelle les opportunités manquées de la politique financière algérienne à l'international. La famille Peugeot a pour la première fois depuis deux siècles perdu le contrôle de son groupe en acceptant une augmentation de capital qui l'a fait descendre à 14% de parts de PSA, à la même hauteur que deux des entrants, l'Etat français et le chinois DongFeng. PSA change d'histoire pour seulement 3 milliards d'euros apportés par les deux nouveaux investisseurs. 3 milliards de dollars est la moitié du total des avenants sur les contrats de l'autoroute Est-Ouest, dont le cumul des pots-de-vin se situe à près de 200 millions d'euros. Un fonds souverain algérien inexistant aurait pu être du nouveau tour de table de PSA. Peugeot et Citroën sont presque des marques algériennes. Et l'Algérie a besoin de localiser une filière automobile sur son territoire. Mais une telle démarche, qu'une aile du PS voyait d'un bon œil, et que même la famille Peugeot était prête à étudier, n'a jamais été esquissée par Alger. La doctrine sécuritaire du pays est claire, l'armée algérienne n'opère jamais en dehors du territoire.