Le marché qui s'installe chaque jour à la cité Emir Abdelkader le fait dans une extrême effervescence. Les habitants ont une préférence pour le « shopping » à quelques heures avant le crépuscule. La seule route qui mène vers la cité Halbedel, plus connue par Bled Erroumia, ne laisse passer qu'une seule voiture à la fois. Il faudra patienter pour se frayer un chemin entre les charrettes de fruits et légumes et autres friperies et objets divers. On roule à peine pour quelques dizaines de mètres pour pénétrer une autre sphère. Le bitume cède la place à une piste impraticable. Le décor change à la limite des constructions de la cité Halbedel. Un passant, prié de nous indiquer le chemin vers Fedj Errih nous informe qu'on est déjà sur le terrain d'un bidonville hors du commun. On ne peut aller plus loin en voiture, car la piste n'est qu'un tapis de grosses pierres. « Il y a quelques mois seulement, on avait un sentier impraticable même à pieds », nous dira un habitant qui rappelle que cette « route » difficile est l'œuvre d'une action collective. L'hiver est d'une dureté inimaginable sur ces hauteurs de la ville. Le bidonville entouré par les cités Ziadia et Djebel Ouahch à l'est et qui offre une vue incomparable sur le rocher côté ouest et sur le chemin de la corniche du côté nord est souvent isolé du monde durant les chutes de neige. Divisé en neuf secteurs pour des raisons administratives, Fedj Errih (col du vent) symbolise fortement un site exposé à tous les vents et une succession désordonnée dans tous les sens de gourbis menacés par les glissements de terrain. Des fissures apparentes et parfois des fosses assez profondes pèsent lourdement sur des murs qui ne supportent plus les charges du temps. « Plusieurs habitants sont restés impuissants suite à l'effondrement des murs de leurs constructions fragiles durant l'hiver dernier », nous dira-t-on. « Une délégation de l'APW a été ramenée pour faire le constat puis repartir, depuis il n'y a eu aucune suite », ajoute-t-on. Cette situation, qui demeure la hantise des habitants, a généré une véritable panique durant les intempéries du 29 mai dernier, où des femmes, surprises par les flots, ont été sauvées in extremis. A Fedj Errih, on respire les odeurs des égouts partout où on met les pieds. Normal, puisque les rejets de la cité Halbedel se déversent tous ici. Un sentier de pierres, principale artère de la cité, traçant les lieux entre un égout et une décharge sauvage datant des années 1950, résume les malheurs des habitants de Fedj Errih. « C'est la descente aux enfers », nous dira le président de l'association du quartier. Le chemin, d'un autre âge, est fréquenté par tous les temps par des centaines d'écoliers, de collégiens et de lycéens. L'école primaire Ibn El Faridh, qui compte 837 élèves, la seule dans un quartier populeux en pleine évolution démographique, est débordée. Des classes à 44 gosses, des toilettes insalubres, un manque d'équipements, une direction sans secrétaire, un établissement avec un seul gardien, la situation est qualifiée d'incommodante par l'association des parents d'élèves. Sur 1500 m, la distance qu'on parcourt pour arriver au fin fond d'un bidonville percé par des eaux aux odeurs insupportables, on croit s'enfoncer dans les méandres de la misère. Les services d'assainissement de l'APC n'ont jamais mis les pieds ici, selon les habitants, alors que l'ex-P/APC de Constantine était un jour au sommet de cette petite colline. « Il n'a rien trouvé à dire », commente-t-on. Et d'ajouter : « Rien de concret n'a changé dans la vie des gens si ce n'est l'alimentation en eau de la moitié de la cité, financée par nous-mêmes ou l'électricité qui n'a fait son entrée qu'en 1988 après des décennies d'obscurité ». L'environnement se dégrade pour 1364 familles. Selon les chiffres de l'association du quartier, 70% des 7300 habitants sont des démunis. « Les couffins du Ramadhan distribués chaque année se perdent en cours de route avant d'arriver ici », laisse-t-on dire. La cité compte de nombreux asthmatiques et d'allergiques pendant que la gale s'y enracine. On recense aussi 120 diplômés universitaires, toujours en proie au chômage et dont le seul débouché demeure le marché de Halbedel où ils sont vendeurs ambulants de fruits et légumes. Longtemps éclipsés derrière les bâtisses de la cité Emir Abdelkader, les habitants de Fedj Errih ont nourri durant des années un espoir d'être évacués un jour. La campagne de relogement, lancée depuis quelques années par les autorités de la wilaya, s'est arrêtée subitement à leurs portes alors qu'ils ne sont qu'à un jet de pierre de l'ex-bidonville Gance, transformé en décharge publique, un autre fléau de plus. A la faveur d'une rencontre tenue récemment avec le mouvement associatif, le bidonville Fedj Errih est sorti tout droit de l'anonymat. Une sortie qui n'est qu'un fait à concrétiser. Là, les habitants attendent toujours et espèrent sortir réellement d'une misère qui les frappe comme une malédiction.