Les Occidentaux ont exprimé leur vive inquiétude quant aux derniers développements survenus dans la région. La Russie est vraisemblablement en train de rééditer en Ukraine, ou plus précisément en Crimée, le scénario mis en œuvre en 2008 dans la région géorgienne séparatiste d'Ossétie du Sud, où elle avait lancé une opération militaire éclair contre les autorités de Tbilissi, et dont elle a fini par reconnaître l'indépendance. Pourquoi la Crimée ? Moscou dispose d'une force armée non négligeable dans cette région située dans le sud de l'Ukraine : la flotte russe de la mer Noire, qui compte quelque 20 000 hommes, est basée à Sébastopol, aux termes d'un accord entre Moscou et Kiev. Et pour les autorités russes, il n'est pas question de perdre pied dans cette région stratégique. La décision du président russe, Vladimir Poutine, de demander, hier au Parlement, d'approuver «un recours à l'armée russe en Ukraine» pourrait en tout cas participer de cette logique surtout que l'Ukraine est progressivement en train de basculer dans le camp occidental. Officiellement cependant, la résolution de Vladimir Poutine est surtout motivée par son souci de protéger les citoyens russes et les forces armées déployées dans le pays. «En raison de la situation extraordinaire en Ukraine et de la menace pesant sur la vie des citoyens russes, de nos compatriotes des forces armées russes déployées en Ukraine», M. Poutine a demandé au conseil de la Fédération d'autoriser «le recours aux forces armées russes sur le territoire de l'Ukraine, jusqu'à la normalisation de la situation politique dans ce pays», selon un communiqué du service de presse du Kremlin. A noter que la requête de M. Poutine n'est que de pure forme, puisque de nouvelles unités russes sont déjà déployées en Crimée depuis quelques jours. Bien que les inquiétudes de Moscou soient légitimes, il reste que son argument pour justifier un déploiement de militaires ne résiste pas beaucoup à l'analyse dans la mesure où la situation tend maintenant à la normalisation à Kiev. Et jusque-là, personne dans le gouvernement provisoire qui vient d'être installé dans la capitale ukrainienne n'a pensé remettre en cause ses intérêts. Mais il semble que le gouvernement russe ait voulu anticiper sur les événements pour éviter toutes mauvaises surprises l'avenir. Turbulences séparatistes à l'Est Le désordre en Ukraine lui donne ainsi une occasion inespérée pour redessiner à son profit la carte de la Crimée, une région dont la population lui est majoritairement acquise et qui en plus, aujourd'hui, sollicite son intervention. Le timing choisi par le président russe pour mettre en mouvement ses unités est des plus favorables puisqu'il tombe justement à un moment où beaucoup de régions pro-russes sont gagnées par des turbulences séparatistes qui peuvent déboucher sur une partition de l'Ukraine. A titre d'exemple, le nouveau Premier ministre de Crimée, Sergiï Axionov, que Kiev considère comme illégitime, a sollicité hier l'aide de Vladimir Poutine pour restaurer «la paix et le calme» dans la péninsule ukrainienne. Pendant ce temps, des dizaines de personnes ont été blessées à Kharkiv, dans l'est de l'Ukraine, en marge d'une manifestation pro-russe qui a conduit à la prise d'assaut du siège de l'administration régionale par quelque 300 manifestants. Des partisans des nouvelles autorités pro-occidentales de Kiev s'y seraient barricadés. Plus de 10 000 personnes ont aussi manifesté hier matin à Donetsk, fief du président déchu, Viktor Ianoukovitch, dans l'est de l'Ukraine, contre les nouvelles autorités de Kiev en brandissant des drapeaux russes. Sur un podium improvisé, des intervenants déclaraient soutenir «l'aspiration de la Crimée à rejoindre la Russie». Inutile de dire que toutes ces manifestations contribuent à donner une certaine légitimité à l'intervention militaire russe. En Crimée justement, Kiev a accusé la Russie d'avoir déjà déployé des milliers d'hommes supplémentaires. «La Russie a accru ses troupes de 6000 hommes» en Crimée, a affirmé le ministre de la Défense, Igor Tenioukh. Près de 30 blindés ont aussi été déployés, a-t-il dit, dénonçant une «violation grossière» des accords régulant la présence de la flotte russe de la mer Noire en Crimée. Plusieurs sites stratégiques de la péninsule sont donc désormais sous le contrôle d'hommes armés et en uniformes, mais sans signe permettant de les identifier. Ils contrôlent les aéroports de Simféropol, capitale de la Crimée, de Sébastopol, de Kirovske, ainsi que le centre de Simféropol, et ont hissé le drapeau russe sur plusieurs bâtiments officiels. A Sébastopol, où mouille la flotte russe, un commando de 300 hommes environ, se disant mandatés par le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, a assiégé, dans la matinée, le QG des gardes-côtes ukrainiens. Les assaillants ont déclaré avoir reçu du ministre «l'ordre d'occuper cette unité». Ainsi qu'il fallait s'y attendre, les Occidentaux ont exprimé leur vive inquiétude quant aux derniers développements survenus dans la région. «Ce que nous vivons actuellement en Crimée nous inquiète», a déclaré la chancelière allemande, Angela Merkel, lors d'un discours à Berlin. «Naturellement, ces jours-ci, tout doit être fait pour préserver l'intégrité territoriale» de l'Ukraine, a-t-elle dit, ajoutant qu'elle «et beaucoup d'autres s'y efforcent lors de nombreux entretiens téléphoniques avec le président russe et les responsables ukrainiens». Le président américain Barack Obama s'est, de son coté, déclaré vendredi «profondément inquiet» devant les informations sur des mouvements de troupes russes en Ukraine et avait mis Moscou en garde contre toute «intervention militaire». Mais la sortie hier de Vladimir Poutine montre que les Russes, comme ce fut le cas en Géorgie en 2008, sont blindés contre les menaces et qu'ils ne sont pas disposés à lâcher la proie pour l'ombre.