«Si Taleb Abderrahmane, cet étudiant et militant nationaliste guillotiné le 24 avril 1958 à la prison Barberousse, a donné sa vie, c'est pour que l'étudiant d'aujourd'hui, l'étudiant de l'Algérie indépendante, puisse vivre dignement, et non comme un citoyen de second collège.» C'est là le cri du cœur de Hillel Meddi, universitaire, traducteur et interprète. Ayant pris part aux manifestations contre la candidature de Abdelaziz Bouteflika menées par le mouvement Barakat («ça suffit», ndlr), Hillel Meddi explique : «C'est d'une manière spontanée qu'on a tous uni nos forces autour de ce mouvement», ajoutant que le choix de l'université comme lieu de protestation n'est pas fortuit. «Pourquoi l'université ? Parce que c'est un lieu de savoir, de recherche, un lieu où jaillissent les idées.» En effet, si la première manifestation menée par le docteur Amira Bouraoui le 22 février a eu lieu près de l'Université de Bouzaréah, celle de samedi dernier s'est tenue près de la Fac centrale d'Alger. Idem pour la manifestation prévue pour demain, 6 mars. Le temps est donc venu de redorer le blason de l'université algérienne ? C'est ce que souhaitent nombre de ces étudiants qui sont sortis exprimer leur colère contre la candidature à la prochaine élection présidentielle du Président en place. «Il est temps que les étudiants prennent en main leur avenir. Déjà que l'université algérienne survit difficilement aux différentes politiques de gestion, plus chaotiques les unes que les autres, un quatrième mandat de Bouteflika la mènera à coup sûr droit au gouffre», interpelle Yacine, un jeune étudiant en sociologie. Pour Hillel Meddi, «l'université est, de par l'histoire, le lieu de naissance de nombreux mouvements de libération et d'émancipation», entre autres «la grève du 19 mai 1956» qui a été décidée à Alger et suivie en masse par les étudiants, ainsi que le mouvement mené par les étudiants chinois qui ont occupé la place Tian'anmen entre le 15 avril 1989 et le 4 juin 1989 pour dénoncer la corruption et demander des réformes politiques et démocratiques. L'université qui, comme le dit si bien Hillel Meddi, «est un lieu de recherche de la vérité», est donc sollicitée, voir même ciblée par les activistes du mouvement Barakat. «Barakat, c'est aussi barakat à la fuite programmée de nos cerveaux, barakat au massacre de l'université, barakat à la marginalisation des étudiants», clame Samir, étudiant en sciences politiques à l'Université d'Alger. Revenant à la manifestation de samedi dernier et comme pour démontrer la peur du pouvoir en place de la masse estudiantine, Hillel Meddi rapporte que les étudiants de la Fac centrale «ont été empêchés ce jour-là de sortir de leur campus et de participer au mouvement de protestation contre une énième injustice. Il y avait beaucoup de policiers à l'intérieur de la Fac. Leurs véhicules étaient garés à l'intérieur même de l'enceinte universitaire, ce qui en soi n'est pas normal» et constitue une violation des franchises universitaires. Concernant l'implication des étudiants dans la politique, Hillel Meddi rétorque : «Si la majorité des étudiants algériens n'ont pas de conscience politique, c'est le moment de l'avoir. Quant à moi, je leur demande d'avoir simplement une conscience». Urgemment car «ce n'est pas par hasard si l'Université algérienne est sinistrée. Depuis 15 ans, les réformes se succèdent et s'amoncellent sans résultat concret». Une situation qui, rappelons-le, a poussé les étudiants à sortir dans la rue, en 2011 et 2012, pour exprimer leur ras-le-bol, se faisant ensuite tabasser par les forces de l'ordre. Mais pas que cela. «Depuis 15 ans aussi, l'on assiste à une succession de charcutage de l'Université algérienne afin de la diviser en plusieurs structures avec plusieurs administrations, plusieurs doyens, plusieurs recteurs… ce qui rend la bureaucratie encore plus lourde. Certes, il y a eu la construction de nouvelles structures, de nouveaux pôles universitaires. C'est bien. Mais il serait bien aussi de remplir ces structures avec de vrais enseignants, soucieux de l'avenir de l'Algérie, avec des étudiants qui veulent s'instruire et se construire», souligne Hillel Meddi. A la fin, comme excédé par un trop plein d'injustices, il ajoute : «Je dirais aux étudiants d'aujourd'hui qu'ils sont les gestionnaires de demain. Ce qui se passe actuellement, et ce qui se passera avec un 4e mandat, c'est une tentative pour qu'il n'y ait personne demain.» L'Université algérienne répondra-t-elle à l'appel ? Saura-t-elle se repositionner et retrouver la place qui lui revient de droit, elle qui est la locomotive de la nation ?