Même si la vie semble reprendre plus ou moins ses droits, il n'en reste pas moins que celle-ci tourne au ralenti. Rideaux baissés, quand ils ne sont pas défoncés et calcinés, circulation minimum et rares passants. «De ma vie et même pendant la saison des grandes chaleurs je n'ai vu Ghardaïa aussi déserte et aussi triste», lâche avec tristesse Boudjemaâ, un vieux coiffeur installé de très longue date sur l'avenue Talbi Ahmed. Toutes les administrations tournent au ralenti avec le minimum d'effectif, les gens ne peuvent abandonner leur demeure de peur que leur famille soit agressée et que les maisons soient incendiées. C'est la paranoïa totale. Mais ce qui tranche singulièrement dans cette ville aux deux visages, c'est que d'un côté, vers les quartiers arabes de Theniet El Makhzen, Merrakchi et Sidi Abbaz, les gens vaquent normalement à leurs occupations, alors que les magasins et les vendeurs informels de fruits et légumes sont pris d'assaut par les ménagères, alors que dans le haut de la ville, vers le ksar de Ghardaïa et la place du marché, c'est carrément la tristesse. Tout ou presque est soit fermé, soit incendié, même si les traces extérieures ont été effacées à la hussarde. Dans une ville complètement quadrillée par un impressionnant dispositif de sécurité qui ne laisse pas un seul point chaud non sécurisé, surveillée même du ciel par des hélicoptères de la Gendarmerie nationale, on a l'impression que c'est l'état de siège. Des contrôles sont effectués au niveau des deux entrées de la ville et même à l'intersection de Gar Ettâam, la zone industrielle de Ghardaïa qui plonge directement sur Béni Izguène à partir du ksar de Tafiletlt. C'est dire que rien n'est laissé au hasard. Avec les vacances scolaires qui ont permis à beaucoup de familles d'aller se reposer dans le calme pendant quelques jours, la ville semble s'être vidée de ses habitants qui ne supportent plus l'angoisse des lendemains incertains. Il n'y a pratiquement plus d'enfants dans les rues des quartiers populaires de la ville, d'habitude si grouillantes. Même le mini-parc d'attraction sur les hauteurs de Bouhraoua, en face du Belvédère, est tristement clos depuis le début des événements de décembre passé. A ce jour, des quartiers entiers sont restés comme interdits aux citoyens de la communauté antagoniste. A titre d'exemple, il est carrément suicidaire pour un Arabe d'essayer d'atteindre la daïra de Dhaya Ben Dahoua par la route classique qui transite par Touzzouz, et le contraire est aussi valable pour un Mozabite qui essayerait de passer par les ruelles du quartier arabe de Theniet El Makhzen ou Hadj Messaoud. Inimaginable, c'est pratiquement devenu des no man's land pour l'autre communauté. Par contre, El Atteuf, la sublime, reste une exception tant les deux communautés de cette ville vivent en parfaite harmonie et où toute espèce de conflit est réglée tout de suite à l'amiable et sagement. C'est une ville que toutes nos cités doivent prendre en exemple de coexistence pacifique. Ce qui attire l'attention, c'est la rapidité avec laquelle les autorités ont procédé au nettoyage des grands boulevards et avenues de la ville. Des dizaines d'employés de la voierie s'affairent jour et nuit à essayer de donner une image de propreté au visiteur, notamment sur les places et à proximité des établissements publics. «Ne croyez pas que c'est pour nous ce nettoyage, c'est pour les candidats à l'élection présidentielle. Ils ne veulent pas que les médias aient une image négative de la ville», nous apostrophe avec malice Dahmane, un universitaire inscrit au chômage de longue durée. C'est dire qu'entre l'administré et l'administration, la confiance règne.