Enfin… Al Sissi entre dans la course présidentielle», titre le quotidien égyptien Al Watan au lendemain de l'annonce de la candidature du maréchal Abdelfattah Al Sissi. Tout est dans le choix de l'adverbe «enfin». Après plusieurs semaines de rumeurs, d'annonces précipitées puis démenties, le ministre de la Défense a annoncé son intention de briguer la Présidence. Dans la soirée du 26 mars, dans un décor verdoyant (longuement raillé sur les réseaux sociaux), le maréchal a officialisé ce que les médias plébiscitent depuis plusieurs mois : son entrée en campagne. Depuis le référendum organisé les 14 et 15 janvier dernier, l'homme répétait qu'il ne pouvait ignorer «l'appel des masses». La seule inconnue était la date que choisirait le ministre de la Défense pour enfiler le costume civil. Une situation propice aux rumeurs et aux révélations de dernière minute. Sans qu'aucune ne se réalise. L'annonce tardive a alimenté une myriade d'explications. Parmi elles, le ministre de la Défense serait en difficulté face à la crise économique qui plombe le pays : un chômage à 13,4% ; une dette publique en hausse et une inflation galopante. Langage du cœur Assis derrière un bureau en bois, mercredi dernier, le maréchal a franchi la dernière étape qui manquait à sa «présumée» candidature. «C'est un moment très important pour moi. La première fois que j'ai porté l'uniforme militaire c'était en 1970, j'étais alors un étudiant de 15 ans à l'académie militaire de l'air… il y a environ 45 ans, se remémore le maréchal. J'ai eu l'honneur de protéger la nation avec cet uniforme, celui-là même que je quitte aujourd'hui pour défendre la patrie.» L'homme de 59 ans s'est adressé aux Egyptiens comme un père le ferait avec ses enfants, un mari avec sa femme. Une caricature – très partagée sur les réseaux sociaux après l'annonce de sa candidature – le représente dans une position lascive, déboutonnant lentement sa chemise avec un regard séducteur… Si cet ancien chef des services de renseignement militaires communique beaucoup sur ses sentiments, cela est moins vrai pour sa vie personnelle. Depuis les manifestations du 30 juin 2013 réclamant le départ du président islamiste Mohamed Morsi, le ministre de la Défense, Al Sissi, préfère entretenir le mystère. Diplômé de l'académie militaire en 1977, le jeune militaire poursuit son parcours en Egypte puis aux Etats-unis en 2006. Abdelfattah Al Sissi fait partie de cette génération d'officiers qui n'a pas connu la guerre, «la génération des Accords de Camp David». Au lendemain de la démission de Hosni Moubarak, le 11 février 2011, le général rejoint le Conseil des forces armées en charge de mener la transition politique. Il devient alors le plus jeune gradé à siéger dans le «club» des vieux généraux. Réputé fervent musulman, le général se rapproche de Mohamed Morsi, élu à la tête de l'Egypte en juin 2013. Moins de deux mois plus tard, Al Sissi est nommé ministre de la Défense par le Président issu de la confrérie des Frères musulmans. Son mentor, le maréchal Hussein Tantawy, est invité à prendre sa retraire anticipée. Un choix que Mohamed Morsi doit aujourd'hui ressasser depuis sa cellule de prison. Abdelfattah Al Sissi est l'homme qui a été applaudi par des millions d'Egyptiens, le 30 juin 2013, mais également celui qui a annoncé, le 3 juillet, la fin de la présidence de Mohamed Morsi et l'arrestation des membres de la confrérie. C'est à partir de ces événements qu'est née la figure providentielle du général Al Sissi. Son portrait se décline sous de multiples facettes, des affiches, des épinglettes, des jeux de cartes. Les médias le présentent comme le sauveur d'une Egypte en proie à une instabilité politique et sécuritaire. La machine médiatique tournant à plein régime en sa faveur, l'homme devient incontournable. Un culte de la personnalité qui ne dit pas son nom. Le phénomène Al Sissi Pour l'activiste Alfred Raouf, beaucoup d'Egyptiens se trompent en voyant en Al Sissi l'incarnation d'un messie. «Le salut n'est pas à trouver dans un messie civil, mais plutôt dans la coopération de tous les partis politiques, en dépit de leurs différents intérêts. Sinon, la collision sera inévitable et personne ne sera épargné.»Le Mouvement des jeunes du 6 avril, fer de lance de la mobilisation ouvrière en 2008 à Mahalla puis de la révolution de 2011, a appelé les Egyptiens à descendre dans la rue le 6 avril prochain. Sur sa page facebook, le Mouvement a publié l'affiche de sa campagne, intitulée «Lâchez l'Egypte», un message explicitement adressé aux militaires et aux figures de l'ancien régime. Pour les militants, «la situation (du pays) est pire qu'en 2008, avec une répression, des morts, des mensonges et des arrestations qui sont les méthodes du pouvoir intérimaire et qui préparent une dictature à venir».