El Watan étudiant a lancé ce samedi 5 avril son premier Workshop, dédié cette fois aux évènements de Ghardaïa. Le principe de ces Workshops consiste à organiser des ateliers de réflexions et d'analyses au service des universitaires dans le but d'étudier, de décortiquer et d'examiner les faits d'actualité. El Watan étudiant espère ainsi s'ouvrir les voies des établissements de l'enseignement supérieur pour redonner la parole à des enseignants, des chercheurs et des étudiants souvent marginalisés. Les Workshops ambitionnent de se muer en Roadshow en parcourant toutes les wilayas du pays pour qu'enfin la discussion et les échangent remplacent les discours. Après une courte période d'accalmie, Ghardaïa a renoué, samedi, avec la violence. Quatre mois d'affrontements entre communautés ibadite et malékite — selon la différenciation convenues —, ont engendré un bilan de guerre : sept morts, 400 blessés et plusieurs centaines de magasins et de maisons brûlés. Depuis le mois de décembre dernier, la crise a pris des proportions plus qu'inquiétantes et les raisons restent obscures. Rivalités ethniques ou religieuses, malaises social et économique, lutte de clans au sommet de l'Etat, chacun y va de son interprétation. «C'est le résultat d'une crise politique profonde. La Nation est en danger et on risque l'affaissement de l'Etat et de ses institutions», averti Mme Fatma Oussedik, docteur en sociologie. Intervenue au Workshop d'El Watan étudiant intitulé «Réflexions et questionnements sur les événements de Ghardaïa», organisé le 5 avril à l'hôtel Es Safir d'Alger, la professeure de sociologie à l'université d'Alger 2 et diverses universités étrangères décortique de manière claire et académique ce qu'elle qualifie d'«échec de la construction d'un Etat né du parti unique» qui serait à l'origine de la crise de Ghardaïa. Après avoir défini les concepts sociologiques de l'ethnie, de la minorité sociale, de l'Etat et de la Nation, Mme Oussedik explique que le processus de l'édification de l'Algérie s'est fait suivant le modèle occidental imposé dès le XIXe siècle, qui consiste à nationaliser l'Histoire en imposant une identité dominante basée sur la négation des territoires. «L'action autour du mouvement national et son unanimisme dès 1962 a imposé une seule identité dominante basée sur le rite malékite. Il y a eu un travail de production de l'étrangeté, de destruction des tissus sociaux et des structures locales. C'est ainsi que les Ibadites sont devenus étrangers alors qu'ils sont d'ici. On a étouffé Ghardaïa dès lors qu'elle est devenue une wilaya. C'était le début de sa fin», explique-t-elle. Mais alors, si les Etats-Nations se construisent sur une identité déterminée et consensuelle, pourquoi en Algérie cette édification engendre-t-elle la violence ? D'après les explications de la sociologue, ce processus de construction s'est fait d'une façon autoritaire en opposant l'administration centrale aux autres formes d'organisations locales. «L'administration centrale (par le biais de la wilaya) refuse l'auto-administration. On (les gouvernants) voulait à tout prix produire l'homme nouveau. Mais avec leurs illégitimités et leurs façons de faire, l'homme nouveau est là, c'est un trabendiste qui siège dans tous les domaines : économiques, sociaux et religieux. Le tissu social est constitué de clientèles et non de citoyens», analyse-t-elle. Mais alors, pourquoi Ghardaïa et pourquoi maintenant ? L'économiste Mohamed Djelmani, second intervenant au Workshop, explique la chose d'abord par les évolutions démographiques : «Avant, à Ghardaïa, les jeunes se faisaient rares. Pour poursuivre leurs études ou travailler, ils devaient quitter la vallée du M'zab. Aujourd'hui, pour des raisons sociales et économiques, les jeunes Mozabites installés sont nombreux. Les communautés arabes se sont aussi décuplées». Ensuite, le spécialiste en management énumère les différentes mutations de l'économie locale des Ibadites qui passe du commerce à l'industrie via l'agriculture. Lors de son intervention, M. Djelmani fait valoir l'absence de l'Etat dans ces différentes phases. «En 1985, suite à l'introduction d'une loi qui favorise la mise en valeur des terres agricoles, la communauté (ibadite) a investi dans l'agriculture. Dans la région de Dahia, des agriculteurs avaient commencé à travailler la terre. Mais la nuit, des gens venaient détruire ce qui était fait le jour. Et face à l'inaction de l'administration centrale, les événements qui ont secoué Ghardaïa à cette époque ont été tus», déplore-t-il. «C'est l'absence de l'Etat et le non-respect de la loi qui produisent la violence», insiste Mme Oussedik. Pour les derniers événements, l'économiste insiste : «C'est la première fois qu'on s'en prend à des cimetières et des mausolées. Je peux comprendre que des jeunes émeutiers attaquent des magasins pour voler un smartphone. Mais là, je suis convaincue qu'ils sont manipulés par des forces obscures.» Pour Saïd Djabelkhir, islamologue, c'est l'instrumentalisation de la religion à des fins politiques qui serait à l'origine du conflit. «Nous assistons à une wahhabisation et une salafisation de la société. C'est une doctrine officielle de l'Etat qui favorise l'apostasie. La religion n'est pas une matière à consommation. Il faut arrêter ces manipulations et enseigner à nos enfants l'acceptation de l'autre quelle que soit sa religion.» «Par un subtil travail de manipulation, on a fait de la communauté ibadite une minorité. C'est dans l'air du temps, car autour de ces minorités il y a des enjeux nationaux et internationaux nés de la manipulation du grand ordonnateur (USA) et cela présente un réel danger de dislocation sur notre Etat qui n'est pas séculier», averti Mme Oussedik. Pour la sociologue, la solution réside dans l'élaboration d'un Etat construit autour d'une citoyenneté multiple. «L'idée de démocratie est liée à la légitimité du peuple», conclut-elle.