Alors que le dossier de Sonatrach 2 dort dans le tiroir du juge du pôle pénal d'Alger, du côté italien, le magistrat milanais accélère ses investigations en se déplaçant au Liban pour enquêter sur les comptes de Farid Bedjaoui. Les dossiers liés à la corruption refont surface pour hanter les esprits de ceux qui ont tout fait pour les éloigner de la campagne électorale. Ainsi, au moment où le juge d'instruction de la 9e chambre du pôle judiciaire spécialisé près la cour d'Alger se contente de renouveler (le 7 avril dernier) le mandat de dépôt contre Nouria Meliani Mihoubi, patronne du bureau d'études CAD, poursuivie dans le cadre de Sonatrach 2, son homologue du parquet de Milan suscite au Liban une véritable polémique juridico-financière à la veille de sa visite à Beyrouth pour enquêter sur les comptes bancaires de Farid Bedjaoui, conseiller de l'ancien ministre de l'Energie, Chakib Khelil. En effet, après avoir connu sa vitesse de croisière durant l'été dernier avec une vingtaine d'inculpations et le lancement de neuf mandats d'arrêt internationaux contre, entre autres, l'ex-ministre, ses deux enfants, Réda Hamèche, Farid Bedjaoui et Omar Habour, un influent homme d'affaires de l'Oranie, l'instruction sur Sonatrach 2 a sensiblement ralenti en raison des lourdes pressions exercées sur le juge pour faire revenir la machine en arrière, à défaut de l'arrêter. En décembre dernier, le magistrat a inculpé Chawki Rahal, ancien vice-président de Sonatrach, déjà poursuivi dans le premier dossier, l'a mis en détention, a placé sous contrôle judiciaire son épouse et a poursuivi Nouria Meliani Mihoubi (en prison depuis juillet 2013) pour «association de malfaiteurs», prolongeant ainsi sa détention pour un temps illimité. Les avocats de celle-ci parlent de «procédures scandaleuses», mais le juge l'a reconduite le 7 avril dernier. Au mois de mars écoulé, les anciens responsables de Sonatrach, dont l'ex-PDG Mohamed Meziane, sous contrôle judiciaire, et son vice-président, Belkacem Boumediène, en détention, ont été entendus dans le cadre d'une nouvelle affaire de surfacturation dans l'achat de transformateurs auprès de Schlumberger et certains ont été inculpés. Depuis, c'est le statu quo, alors qu'en Italie, le juge du parquet de Milan, Fabio Di Pasquale, accélère l'enquête qu'il mène sur les commissions rétrocédées par Saipem, filiale du groupe ENI, pour obtenir des marchés auprès de Sonatrach. Ainsi, après avoir inculpé de hauts dirigeants de ce géant pétrolier, le magistrat le plus craint en Italie «file» la traçabilité des transactions entre Saipem et Farid Bedjaoui à travers de nombreux pays. Cette semaine, il fait escale au Liban, pays où il a fait geler les comptes du suspect franco-algérien. Son voyage à Beyrouth suscite une grande polémique juridico-financière, parce que la belle-famille de Bedjaoui, les Delloul, est très influente. Elle fait partie de la nomenklatura libanaise et l'un de ses membres n'est autre qu'un ancien ministre de la Défense. La première réaction est venue des avocats de Bedjaoui, lesquels récusent, à travers les médias, l'argumentation du juge basée, selon eux, «sur des thèses et des allégations de personnes poursuivies et non pas sur des preuves matérielles», et annoncent un dépôt de plainte à son encontre. Ils affirment que le juge a demandé aux autorités libanaises des renseignements bancaires de l'homme d'affaires dont les avoirs ont été gelés et le secret bancaire le concernant levé. Ils l'accusent «d'acharnement, de pratiques hasardeuses et de violations». Cependant, le magistrat poursuit son enquête sur l'énigmatique société RayanAsset Management FZ LLC, de conseil en investissements, domiciliée à Dubaï, appartenant à Bedjaoui et son beau-frère, Ziad Delloul, soupçonnée de servir pour le transfert des produits de la corruption mais aussi sur tous les comptes de Bedjaoui domiciliés à Beyrouth et même en Suisse, à Singapour, à Hong Kong et ailleurs. Pour le juge milanais, Bedjaoui serait le fil conducteur qui pourrait l'aider à comprendre ce chassé-croisé des mouvements de fonds à travers de nombreux pays. Ce même chassé-croisé dont a parlé en août dernier le procureur général près la cour d'Alger, Belkacem Zeghmati. En effet, lors d'une conférence de presse, M. Zeghmati avait fait état de «montants énormes versés aux intermédiaires pour les transférer sur les comptes des responsables de l'énergie et des dirigeants de Sonatrach à travers des opérations bancaires très complexes dans de nombreux pays». Il a aussi fait état de nombreux comptes appartenant, entre autres, à Chakib Khelil, sa famille et à Farid Bedjaoui, tous soupçonnés de recevoir l'argent de la corruption, repérés «à Hong Kong, Singapour, Emirats arabes unis, Liban, et au Moyen-Orient, ainsi que dans trois pays européens : la France, l'Italie et la Suisse». Cela veut dire que depuis le mois d'août dernier, le juge a reçu toutes les informations sur lesquelles travaille son homologue italien. Y a-t-il une raison valable qui explique le point mort de l'instruction à Alger et l'accélération des investigations en Italie ? Est-ce la crainte de voir cette boîte de Pandore qu'est le dossier Sonatrach éclater en pleine figure de ceux qui l'ont ouverte en transmettant des commissions rogatoires aux pays concernés ? En renvoyant aux calendes grecques toutes ces affaires, veut-on juste éviter qu'elles viennent rappeler aux dirigeants du pays à quel point la corruption a gangrené le pays ?