La mobilisation des partisans des Frères musulmans continue dans les universités. Depuis la reprise des cours, début mars, des affrontements violents opposent les étudiants et les forces de l'ordre. Reportage à l'université du Caire. De notre correspondante Aux portes de l'université, Zeineb se plie ouvertement aux contrôles de sécurité : elle tend sa carte, ouvre machinalement son sac puis s'éloigne d'un pas léger. Tous les dimanches, cette étudiante en troisième année de littérature se rend à la faculté. C'est «son jour», la seule journée qu'elle passe à l'extérieur de chez elle et l'unique moment où elle peut manifester son opposition au pouvoir militaire.Zeineb, 21 ans, participe assidument aux rassemblements organisés dans l'enceinte de l'université du Caire. «Même si les fouilles et les contrôles de cartes se sont accentués, il est toujours plus facile de se réunir dans la faculté que dans la rue, soutient-elle, exaltée. Il y a encore quelques mois, je pouvais encore manifester dans mon quartier, à Maadi. Mais ma mère trouve que c'est devenu trop dangereux.» En l'espace de quelques mois, plusieurs universités sont devenues le théâtre de manifestations de soutien à l'ex-président islamiste Mohamed Morsi. Lundi dernier, à l'université du Caire, un étudiant a été tué et deux journalistes blessés lors de violents affrontements avec les forces de l'ordre. Selon plusieurs témoins, la police aurait ouvert le feu à l'intérieur du campus. De son côté, le ministère de l'Intérieur dément et soutient que les forces de l'ordre ont seulement utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser les étudiants. «Les étudiants contre le coup d'état» Il est 13he. Avant de rejoindre la marche, Zeineb sort un petit miroir. Excitée, elle réajuste son foulard et sort discrètement un gloss rose bonbon de son sac. Elle sourit et s'empresse de rejoindre la marche. Les hommes à l'avant, les femmes à l'arrière. «C'est pour permettre aux filles de partir si la police entre dans la faculté comme à la fin du dernier trimestre», explique Zeineb. A peine a-t-elle rejoint la manifestation qu'une autre étudiante l'interpelle par le pseudonyme qu'elle utilise sur les réseaux sociaux. Une connaissance du groupe facebook «les étudiants contre le coup d'Etat». C'est l'un des nombreux avatars de «l'alliance anti-coup», principal groupe de soutien aux Frères musulmans. Les étudiants, certains avec des pseudonymes, d'autres sous leur vraie identité, rejoignent ce groupe facebook. Zeineb le consulte pour se tenir informée des horaires et des points de rendez-vous. Comme Zeineb, la majorité des étudiantes craignent l'entrée des forces de l'ordre. L'une d'entre elles me met en garde : «J'ai peur pour toi. Des journalistes ont été arrêtés et accusés de soutenir les Frères musulmans car ils faisaient leur boulot.» Le rapport s'inverse, étrangement. «Il faut changer de stratégie» Dès le renversement du président Mohamed Morsi, ses partisans ont investi les rues pour demander son retour. Certes, leur nombre a diminué après la dispersion sanglante des places Rab'a Al Adawiya et Nahda au Caire, le 14 août 2013. Mais les manifestations continuent d'être organisées en dépit de la répression qui, elle, ne faiblit pas. La spécialiste du Moyen-Orient Michelle Dunne estimait, dans un récent article, que «2500 Egyptiens ont été tués, plus de 17 000 ont été blessés et plus de 16 000 ont été arrêtés» depuis juillet 2013. «La voie pacifique ne marche pas avec le gouvernement, poursuit Zeineb. Nous mourons et nous ne pouvons pas nous défendre. Beaucoup pensent qu'il faut changer de stratégie. Nous sommes nombreux, nous pouvons donc les contraindre à nous écouter en bloquant l'accès d'un bâtiment public. Jusqu'à aujourd'hui, les militaires ont montré qu'ils n'avaient pas peur de nous.» A quelques semaines de l'élection présidentielle se pose effectivement la question de l'avenir de la confrérie des Frères musulmans. Va-t-elle continuer sa stratégie de «déstabilisation permanente», se replier ou élaborer un nouveau plan d'action ? Pour Alyaa Alaa, membre de l'Alliance révolutionnaire pour les femmes d'Egypte, il n'est pas question de rebrousser chemin : «Nous continuerons à manifester jusqu'au retour du président Morsi et la libération des prisonniers. Ceci n'est pas négociable. Nous défendrons notre liberté jusqu'à la mort.» Un récent article publié sur le site Madamasr, sous le titre «En attendant la victoire de Dieu», se veut plus prudent : en donnant la parole à plusieurs acteurs de la confrérie des Frères musulmans, il montre combien son avenir est incertain.