La marche de la célébration du 34e anniversaire du Printemps berbère du 20 Avril 1980 a été violemment réprimée, à Tizi Ouzou, par les services de sécurité. Cette manifestation, réputée pour son pacifisme, avait toujours été tolérée par le pouvoir. Son empêchement, au lendemain d'une élection, est un fait inédit dans l'histoire de cette région. Beaucoup de partis et personnalités politiques ont condamné l'attitude du pouvoir, qui a usé de la matraque pour museler la voix du peuple. Le RCD, à travers son chargé de communication, Atmane Mazouz, a condamné l'usage injustifié de la répression et l'interdiction d'une marche qui se déroule depuis 1981 dans la sérénité, perpétuant l'esprit et les valeurs qui fondent le combat identitaire. Selon le RCD, le déferlement de violence commis par les services de sécurité porte atteinte au symbole d'Avril 1980 et pose légitimement de sérieuses interrogations au lendemain d'une «parodie» électorale massivement rejetée par le peuple algérien en général et la population locale en particulier. Ceci amène le RCD à se demander s'il s'agit là d'une expédition punitive et de représailles telles que promises par les «affidés» du pouvoir, ou alors d'une reconfiguration qui se met en place au détriment de l'expression citoyenne, ou bien d'un signe d'affolement d'un pouvoir oligarchique contesté et surpris par l'ampleur de la mobilisation du 15 avril dernier lors des marches organisées par le RCD. «Graves dérapages» Ali Benflis, l'ex-candidat à l'élection du 17 avril, a déploré la répression injustifiée : «Je m'élève contre une telle violation qui s'inscrit à contre-courant des attentes de notre peuple et de son aspiration à faire enfin de notre pays un espace démocratique, protecteur des droits et des libertés.» Benflis compatit avec les blessés parmi les citoyens qui ont exercé leur droit légitime de manifester pacifiquement et a eu aussi une pensée pour les forces de l'ordre que le pouvoir en place instrumentalise à ses propres fins et contre leur concitoyen à chaque fois qu'il fait de mauvais choix politiques ou cherche à masquer sa gestion défaillante des affaires publiques. «Le pouvoir en place fait, encore une fois, la démonstration de son incapacité à répondre à l'expression citoyenne autrement que par les interdits et le tout-répressif. Il ne tolère ni opinion, ni choix, ni même célébration autres que ceux qu'il impose au moyen de ses diktats et de ses faits accomplis.» De son côté, Soufiane Djilali, leader de Jil Jadid, pense que le pays vit de graves dérapages et que le pouvoir a compris qu'il avait perdu toutes ses bases populaires. «On aurait attendu du président élu plutôt un mot de remerciement à l'endroit de la petite minorité qui l'a élu et aussi à l'encontre de ceux qui ont fraudé pour lui. Rien, le pouvoir s'est préparé à réprimer ceux qui appellent à la liberté et à plus de respect», déplore Soufiane Djilali, qui condamne la répression subie par les manifestants de Tizi Ouzou. «Ce qui aurait dû être un moment de commémoration s'est transformé en humiliation. C'est honteux», déclare notre interlocuteur. «Ni opinion ni célébration» Le président de Jil Jadid n'arrive pas à saisir l'attitude du pouvoir, qu'il voit comme une marque de désarroi. «Le quatrième mandat a été imposé par la force et la fraude. Le Président étant absent c'est son entourage qui prend des décisions à pied levé sans stratégie, ni vision et cela entraîne une sorte de désordre», affirme-t-il. Le Mouvement citoyen pour les libertés et le développement (MCLD) a condamné énergiquement cette répression qui intervient, de l'avis de ses animateurs, après une mascarade électorale unique au monde. «La répression vise à enclencher un climat de violence pour différer la satisfaction des exigences de liberté exprimées par la société», explique Ali Brahimi. Pour le MCLD, dont les militants ont participé aux trois événements, la dynamique de mobilisation des rangs du Mouvement culturel berbère (MCB) «doit être protégée de la répression, des sectarismes groupusculaires et des repositionnements partisans. La renaissance du MCB est conditionnée par la préservation de sa nature plurielle, rassembleuse et non partisane ouverte à toutes les forces qui se reconnaissent en son combat et dans l'universalité». Ramdane Taâzibt, député du Parti des travailleurs (PT), condamne fermement et s'interroge «comment une manifestation qui a lieu chaque année et réunit des centaines de manifestants, est réprimée». Taâzibt ne fait aucune lecture politique et se contente de poser la question sur les raisons de la répression par les forces de l'ordre. Il conclut : «Il fallait laisser le citoyen exprimer librement ses opinions.» Abderrazak Makri, président du MSP, rappelle qu'un mouvement pacifique est un droit constitutionnel, le réprimer est une atteinte à la Constitution. «Le pouvoir devrait régler ce problème. Par principe, nous sommes pour la liberté d'expression, d'où qu'elle émane», note Makri. Pour sa part, Ali Fawzi Rebaïne, chef de file de Ahd 54, pense que le pouvoir adopte une nouvelle politique du «tout-répressif». «Aujourd'hui, c'est une manifestation pacifique qui a été réprimée et demain ce sera au tour des médias de subir le même sort», craint-il. Pour Rebaïne, le pouvoir vient d'envoyer un message aux syndicats et aux différentes parties qui tenteraient d'investir la rue.