L'université algérienne est, comme l'actualité nous le sert ces dernières semaines, confrontée à des défis redoutables. Redoutables, parce que l'Université n'est pas une institution parmi d'autres. Au-delà des péripéties des problèmes catégoriels, l'enjeu ne porte sur rien de moins que sur l'avenir de la nation. S'il ne s'agit pas ici de revenir sur les origines proches ou lointaines des difficultés actuelles, est-il cependant possible d'identifier les principaux obstacles rencontrés, des contraintes, limites, devant être levées, pour envisager au moins par hypothèse leur résolution ? Il y a ce que chacun redoute depuis longtemps : des anecdotes rapportées ici et là comme des curiosités, toujours avec une pointe d'excès conforme à notre sens de la tragédie et du spectacle. On s'accommode toujours de l'hubris quand il reste limité à la farce qui dégénère en rumeur sans portée. H. Rebbouh, professeur à l'USTHB d'Alger, dans un article paru dans El Watan, en son édition du 22 mai dernier, nous dresse un tableau d'une gravité autrement plus inquiétante, impressionnant par les faits qu'il relate et qu'il dénonce. Ses accusations concernent en effet la falsification, le travestissement et la corruption organisés des compétences nécessaires à l'évaluation des connaissances et à la reconnaissance des aptitudes et des capacités, placées sous l'autorité de l'université. Cette relation est d'autant plus préoccupante qu'aucun démenti (près d'un mois après sa publication) n'est venu la récuser ou la nuancer. Ni de la part du corps enseignant (le premier visé) ou de ses représentants, ni de la part de l'administration centrale de l'USTHB (ou des autres universités) et pas davantage des autorités publiques, garantes des intérêts de l'Etat, à la tête desquelles à l'évidence se place le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Disons-le fortement : l'absence de réaction à cet article signifie peu ou prou, non seulement une reconnaissance des faits, mais plus encore le plus parfait dédain pour l'université, les hautes valeurs scientifiques, culturelles et civilisationnelles qu'elle porte et les services qu'en attend légitimement la nation. La liste des forfaits rapportés (il n'y a pas d'autres qualificatifs appropriés) est stupéfiante par H. Rebbouh qui termine sa lettre par un appel qui ne peut décemment rester sans réponse : « Qui peut sauver l'université algérienne du naufrage ? » Ses accusations sont en effet sans appel. Rappelons-les brièvement : Choix d'un jury maison ou complaisant. Elimination des examinateurs exigeants et/ou dérangeants par une modification sans fondement de la composition du jury. Omission volontaire de convoquer un membre du jury lorsque celui-ci s'oppose à la soutenance. Thèses présentées par un candidat dans une langue qu'il ne maîtrise pas et qui a souvent recours aux kiosques multiservices pour toutes les corrections nécessaires moyennant finances. Les thèses KMS sont aujourd'hui légion, une pratique courante et admise. Certaines thèses d'Etat sont dirigées par des encadreurs qui n'ont rien à voir avec la spécialité de la recherche du candidat. (...) Certains professeurs universitaires [ne seraient pas] titulaires du diplôme du baccalauréat [!!!]. « Actuellement, la postgraduation dans l'université algérienne a carrément changé d'objectifs. Destinée initialement à la formation, elle sert aujourd'hui la promotion. Consciemment ou inconsciemment, la tutelle est largement responsable de cette dérive. Que de complaisances dans un milieu qui se considère comme scientifique ; donc échappant à l'arbitraire, au subjectivisme, au laxisme et à l'affectif. » De deux choses l'une : Ou bien ces révélations sont mensongères et donc diffamatoires. Leur auteur devrait dans ce cas comparaître et être attaqué comme il se doit en justice, car elles portent atteinte à l'image et à l'honorabilité d'une institution importante de la République. Ou bien ces événements rapportés s'avéraient exacts, et dans ce cas ils constitueraient des actes de haute criminalité à l'égard des générations à venir. Et si tel était le cas, le professeur H. Rebbouh mériterait félicitations et protections pour les avoir portés à la connaissance de l'opinion publique. Dans ces circonstances, une enquête devrait être diligentée pour rendre compte de ce qui se passe réellement sur les campus. Toutes les responsabilités devraient être identifiées et précisées. L'éthique universitaire restaurée. Pour préserver l'intégrité du corps enseignant et celle de l'administration universitaire. Précisément pour ce qui concerne la qualité de la formation qui est désormais un élément essentiel du développement des nations. L'université est un des lieux où se fabrique le futur de ce pays. On ne peut y porter atteinte impunément. Le Conseil d'éthique et de déontologie de la profession universitaire vient de siéger pour la première fois depuis sa création en 2004 et de rendre des recommandations adressées au ministre de tutelle concernant la situation actuelle de l'université algérienne. Tout algérien, qu'il soit étudiant, parent d'élève, citoyen ordinaire, estimerait hautement opportun, pour le moins - en attendant de confier le dossier à la justice -, que ce Conseil se saisisse de l'examen des faits évoqués par H. Rebbouh. Car il y va de la crédibilité et même de l'existence d'une institution essentielle de l'Algérie. Par ailleurs, aucune coopération internationale dans ce domaine ne pourrait être sérieusement entreprise et approfondie dans ces conditions. Impliqués dans divers programmes de coopération avec les universités et centres de recherche algériens et respectueux de notre pays et du travail difficile de tous ceux (enseignants, chercheurs, administratifs, techniciens, gestionnaires, voire politiques) qui œuvrent au développement de la recherche scientifique et de l'enseignement, nous ne pouvions ignorer cette information sans nous inquiéter de l'exactitude des faits et des accusations portées. Des Universitaires algériens Résidant à l'étranger Karim Bekkour : Maître de conférences, Institut de mécanique des fluides et des solides, Université Louis Pasteur (ULP), Strasbourg. Madjid Bouzar : Responsable de la Section Relations Internationales, ITI-RI / Université Marc Bloch, Strasbourg. Docteur Saïd Kahla : Anesthésiste-réanimateur, Chef de clinique au Westpfalz Klinikum Kaiserslautern, Conseiller municipal de la ville de Kirchheimbolanden, président de l'association des Algériens en Allemagne Algid (Algerische Gesellschaft in Deutschland). Abdenour Lounis : Maître de conférences, Institut de recherches subatomiques, ULP, Strasbourg. Mustapha Meghraoui : Professeur, directeur de laboratoire, EOST-Institut de Physique du Globe, ULP, Strasbourg. Aziz Serradj : Maître de conférences, Institut de géographie, ULP, Strasbourg. Abdelhak Benelhadj : Professeur associé, chargé de mission. IPST- ULP, Strasbourg.