«L'université mène à tout, à condition qu'on en sorte.» Deux années après le deuxième mandat du président de la République, on s'évertue, ça et là, à ne présenter que les actions «positives». Au-delà du dossier de la réconciliation nationale qui est à inscrire à l'actif du président, au-delà de réalisations qui donnent l'illusion du développement force est de constater que nous avons, surtout, vu à l'oeuvre un gouvernement qui distribue une manne pétrolière céleste en confondant richesse -avec tous les comportements négatifs en terme de rigueur- et véritable développement. Encore une fois, il n'y a pas de cap et le manque d'observatoire externe sur la réalité de l'emploi fait que les statistiques données sur le chômage sont largement sujettes à caution. Nous sommes en présence d'un programme ambitieux qui devait, la manne céleste aidant, propulser l'Algérie véritablement dans le XXIe siècle. Non, messieurs, le développement ce n'est pas de fêter le huit millionième abonné au portable, de permettre l'ouverture de show room qui, non seulement n'apportent pas de la richesse mais augmentent plus la détresse et l'amertume de l'Algérie d'en bas. L'Algérie est devenue véritablement un bazar. Nous importons tout et, plus que jamais, nous sommes dépendants de l'étranger pour nous nourrir. Un retard exponentiel. Par-dessus tout, le retard que nous accumulons ne se compte pas en années, il est exponentiel. Dans les pays qui se respectent, nous passons de révolution scientifique en révolution scientifique; en Algérie, notre système éducatif s'installe dans les temps morts. Que peut-on faire avec un gouvernement qui a déclaré la guerre à l'intelligence, à l'école, à l'université. Il est, de notre point de vue, contreproductif de perdre son énergie dans des combats d'arrière-garde contre les écoles privées alors que, dans le même temps, l'école est tombée au plus bas malgré des efforts pathétiques de la tutelle. Le vrai problème est ailleurs. Les réformettes mises en oeuvre çà et là n'ont pas d'avenir car il n'y a pas, de la part du gouvernement, une volonté de mettre le dossier en première ligne des préoccupations du pays. Le Président pense, à juste titre, que l'université est en panne, mais a-t-on simplement essayé de comprendre ce qu'on attendait d'elle? J'ai souvent pesté contre les blocages, l'inertie, la paupérisation de l'Université. On doit savoir, pourtant, que notre université est en mutation rapide, que nous sommes au bord de l'explosion, qu'il est impossible de former dans des conditions décentes avec les moyens dérisoires actuels. Que beaucoup de métiers pour lesquels l'université forme n'existent plus. Pourtant tout l'environnement dans lequel baigne l'université, la société dans sa globalité tout d'abord, la population des étudiants qui viennent à l'université, ensuite, ont considérablement changé...Il est donc légitime de se poser la question des missions assignées à l'université, de ce que lui demande véritablement la société, et donc, de son fonctionnement même. Dans une période très courte, quinze années, de 1990 à 2005, le contexte de l'université a subi une mutation profonde; durant cette décennie, l'arrivée massive de nouveaux étudiants, dans une accélération que peu d'institutions ont subie sur un laps de temps aussi court, «a fait tanguer l'Université» Personne n'a de réponses toutes faites et complètes aux multiples questions complexes qui s'ensuivent ; nous ne pouvons, toutefois, faire l'économie de les poser. Certaines le sont, ici, associées à des points qui nous paraissent importants: le contexte nouveau de l'université, le peu d'impact des réformes successives, les défis à relever à l'aube du XXIe siècle. L'université algérienne, tout comme le gouvernement, s'est installée dans les temps morts, elle fait dans l'agitation et le populisme. On s'occupe d'elle au moment de la rentrée en lui lançant chichement des miettes, à charge pour elle de «garder» les étudiants pour qu'il n'y ait pas de vagues et que le gouvernement puisse s'occuper -des choses autrement plus sérieuses que celles de former l'élite de ce pays- Aucune étude sérieuse n'existe pour savoir exactement quels sont les débouchés qui existent à la sortie de l'université, quelle est la proportion de ceux ou celles qui arrivent à trouver un emploi autrement que les CDD à 8000 DA, du ministère de l'Emploi. Il faut être naïf pour penser retenir un bac +5,6,7 à 80 euros aux portes de l'Europe. C'est cela aussi notre hémorragie en diplômés. Force est de constater que, les rares diplômés qui le peuvent, s'en vont parce que l'on ne fait rien pour les retenir. Parce que leurs maîtres sont dans des conditions sociales misérables. Le gouvernement parle de demande illégitime quand un enseignant demande à ce qu'on le traite avec dignité. Est-il moral qu'un enseignant algérien soit quatre fois moins payé que son collègue marocain ou tunisien à compétence égale? Un professeur algérien de l'université de Aachen, en Allemagne, avait posé la question à un ministre pour lui dire qu'il ne s'expliquait pas comment et pourquoi un professeur algérien qui est aussi compétent que lui était payé dix fois moins? Un vrai débat C'est cela la détérioration lente et inexorable de l'université. Si on ajoute à cela la perte de l'éthique, il faut se demander, en définitive, encore une fois, à quoi sert l'université? Ce n'est pas polémiquer que de dire que l'université va mal, que nous avons besoin d'un débat national, que nous devons aussi faire notre autocritique en tant qu'enseignants, que nous devons nous adapter, que nous devons être flexibles, que nous devons créer de la richesse. Il nous faut un cap, un contrat avec la société que l'on nous dise ce que la société veut. Dans tous les cas, on ne peut pas diaboliser les enseignants en leur refusant -parce que c'est illégitime, un smic de dignité- Il nous faut dire la vérité au peuple, à cette jeunesse qui, à plus de 70 %, est née après l'Indépendance, que voici venir la légitimité du savoir, de la compétence, qu'il faut, au minimum, 5 000 euros par étudiant et par an pour former un étudiant selon les standards internationaux (l'Algérie dépense cinq fois moins). Il faut lui dire aussi que l'Algérie a besoin autant de médecins, d'ingénieurs que de techniciens, il nous faut refonder la formation professionnelle, il nous faut, en un mot, une synergie totale et, peut-être qu'un grand ministère permettrait cette coordination. Cela ne suffira pas, il nous faut un plan Marshall pour l'université. Chaque diplômé doit pouvoir être utile et l'Etat doit pouvoir lui permettre de créer de la richesse. Alors, graduellement, on arriverait à tarir l'économie du container, l'économie basée sur les pétards, les gadgets sans lendemain, l'économie des voitures rutilantes qui minent la structure énergétique du pays. Quand le nombre d'exportateurs sera de loin supérieur aux 40.000 importateurs - qui, d'une façon ou d'une autre, suppriment des emplois en Algérie pour les offrir aux Chinois, Français, Turcs, Américains- on comprendra que le pays est sur la bonne voie. C'est cela, croyons-nous, la seule voie qui mènerait le pays au salut. Par-dessus tout, ce plaidoyer s'adresse à ceux qui veulent donner une chance à ce pays. Il n'est pas trop tard, mais, par-dessus tout, le gouvernement doit cesser de déclarer la guerre à l'éducation, car, en définitive, les Algériennes et les Algériens ont confié à nos gouvernants le soin de conduire cette jeunesse, en panne d'espérance, vers des lendemains meilleurs. Personne n'a le monopole du coeur, de cette fierté d'être Algérien. Nous devons, tous ensemble, tracer un chemin, l'heure n'est plus à l'invective, l'heure n'est plus à la lamentation. Le débat réel qui doit avoir lieu -non pas à l'occasion de forums, malheureusement, sans lendemain- doit impliquer tous les acteurs et, notamment les «gardiens du Temple». S'ils ont choisi le difficile chemin de la carrière d'enseignant, c'est qu'ils ont cette flamme de la transmission du savoir chevillée au corps. De grâce, messieurs, ne l'éteignez pas. Il y va, en définitive, de l'avenir de ce pays qui nous tient tous à coeur.