Le président Bouteflika n'est pas content du bilan chiffré qu'il a dressé hier devant les cadres de l'Etat, à l'occasion de la réunion gouvernement-walis tenue au Palais des nations (Club des pins), concernant l'exécution des programmes de développement. Il s'est publiquement plaint de « ces retards énormes » et de « ces chiffres dangereux » lancés à l'emporte-pièce qui sont loin de la réalité d'après lui. Sa cible privilégiée ? Les ministres et les walis. « Tous les ministres ne travaillent pas de la même manière. Il y a ceux qui travaillent nuit et jour et d'autres qui se roulent les pouces. Le constat vaut aussi pour vous, les walis. Je le dis sincèrement, celui qui ne peut pas assumer ses responsabilités doit partir ou nous allons l'enlever ! » C'est en tout cas une posture d'un président visiblement inquiet du rythme de réalisation de son programme et soucieux de rattraper les retards qu'affichait hier Abdelaziz Bouteflika. Tout au long d'un discours fleuve de 2 heures 10 minutes agrémenté de digressions incisives, le président s'est employé à convaincre ses ministres et ses walis qu'ils doivent imprimer un rythme de croisière aux différents chantiers « pour qu'on soit dans les délais ». A trois années de la fin de son 2e mandat, Bouteflika a pris la mesure du fossé entre le discours triomphaliste de ses ministres et la réalité du terrain. Manifestement désillusionné, le président s'écrie à la face de ses interlocuteurs : « Les chiffres sont dangereux. Nous devons être honnêtes avec le peuple. C'est son argent et sa confiance que nous devons honorer. » Bouteflika, qui semble accorder plus de scrupules à ce que retiendront les Algériens après son départ, assène ceci : « Je ne veux pas qu'on dise un jour que la génération de novembre a trahi la confiance ! » « Le peuple m'a gâté » En prenant l'opinion publique à témoin, Bouteflika précise que les enveloppes allouées aux ministères dans le cadre du plan quinquennal sont « énormes ». Sans nommer les ministres incriminés dans l'accumulation des retards, les malfaçons et les surcoûts des ouvrages, le président a tout de même écorché implicitement celui des travaux publics et celui des transports qui ont la charge des plus gros projets et des plus gros budgets. « Je préfère qu'on me dise j'ai réalisé uniquement 100 km faute de temps que de réaliser plus, mais de mauvaise qualité ! » Le chef de l'Etat s'est plaint également des surcoûts découlant des retards et de la qualité des ouvrages réalisés. « Il faut que nous respections les délais, les coûts et la qualité de tous les projets comme convenu. » Le constat fait hier par le président de la République dénote que le pays est pratiquement en panne en pleine aisance financière. Son souci majeur est justement de corriger ce paradoxe. « Le président a dit tout haut ce que tout de monde pense tout bas », commente un ministre du gouvernement Belkhadem. Sachant que c'est lui qui va payer politiquement la note, Abdelaziz Bouteflika affirme être déterminé à rectifier les imperfections et les ratés de son programme pour ne pas trahir la confiance du peuple. « Ce peuple m'a gâté, il faut que je sois digne de sa confiance. » S'adressant aux walis et ministres, il lance : « Vos erreurs retombent sur nous ! » (comprendre sur lui), façon de suggérer qu'il est seul comptable devant le peuple. Il menace ce faisant ceux qui traînent la patte de se voir « virés » de leurs postes de responsabilité. Désormais, le chef de l'Etat est engagé dans une course contre la montre pour arriver à bon port en 2009. Son nouvel ordre de mission ? Un nouveau plan de développement complémentaire pour 2006. Doté d'une enveloppe de 150 milliards de dinars dégagée au titre de la loi de finances complémentaire pour 2006, ce programme est censé requinquer le bilan peu glorieux des trois dernières années pour l'exhiber en guise de trophée de guerre en 2009. La particularité de ce programme réside dans le fait qu'il sera élaboré sur la base des propositions des walis eux-mêmes, en collaboration avec les élus locaux. « Vous allez avoir de nouveaux dossiers que vous étudierez pendant 15 jours », lance Bouteflika aux walis, histoire de les impliquer personnellement dans le suivi de ces nouveaux projets de rattrapage qui concernent essentiellement les secteurs de l'habitat, le transport, l'emploi, l'assainissement et le désenclavement. RENFORCEMENT Des PREROGATIVES DES WALIS Le président déclare compter énormément sur l'abnégation des walis pour réussir son nouveau pari. Pour ce faire, il compte élargir leurs compétences en matière de gestion à travers le transfert des prérogatives des directions de wilaya à leur niveau. Ainsi, ce schéma de gestion contenu dans le nouveau code de wilaya qui sera « adopté sous peu » permettra au wali d'être l'ordonnateur principal et de déposer souverainement de l'argent affecté aux différents projets de développement sans passer par les méandres bureaucratiques des directions de wilaya. Aussi, Bouteflika promet aux walis de réviser le code des marchés publics de sorte à en alléger les procédures pour accélérer la cadence de lancement des projets. Abdelaziz Bouteflika n'a pas manqué de souligner que la « corruption et les passe-droits » gangrènent dangereusement l'administration. Dans le sillage du nouveau programme, le président révèle que 1500 cadres, entre ingénieurs et architectes, ont été affectés dans les daïras, les circonscriptions administratives et les communes et que 1000 autres le seront au titre de l'année 2006, avec une bonification pour les wilayas du Sud et des Hauts-Plateaux. Bouteflika a insisté tout particulièrement sur le volet de l'emploi de jeunes. « Je vous instruit de mener la bataille de l'emploi ! » Profondément déçu par le tableau de bord économique du pays, le président de la République ne perd pas pour autant espoir. « Nous sommes déterminés à rattraper notre stagnation économique et sociale », s'est-il engagé au terme de son allocution suivie studieusement dans un silence de cathédrale.