Le président Bouteflika a dressé un bilan sans concession de la situation du monde arabe à l'occasion de l'ouverture, hier, des travaux du 17e sommet des chefs d'Etat de la Ligue arabe. Le discours du chef de l'Etat algérien ne laisse place à aucune équivoque : aujourd'hui, le monde arabe ne pèse pas grand-chose comparativement aux autres ensembles géopolitiques ou économiques. « En dépit de quelques avancées indéniables, le monde arabe n'a pas réduit significativement son retard de développement. (...) L'influence de la nation arabe sur la scène internationale ou sa position, au plan de la puissance économique comme à celui du bien-être social, n'est certainement pas en rapport avec les ressources naturelles et humaines dont elle est dotée », a déclaré le chef de l'Etat dans son discours dense prononcé devant les leaders arabes. La raison de la faiblesse du monde arabe résulte, selon Abdelaziz Bouteflika, « (...) de la dispersion des efforts et de la division des pays arabes ». Le président de la République, qui intervenait après l'allocution du secrétaire général de l'organisation panarabe, Amr Moussa - qui s'était attardé sur les actions accomplies durant son mandat - n'a pas négligé le poids des facteurs exogènes (séquelles de la domination coloniale, la tragédie imposée au peuple palestinien avec ses prolongements agressifs et expansionnistes sur les pays voisins, les appétits extérieurs, les rivalités géopolitiques et le terrorisme) dans le marasme caractérisant le monde arabe. Mais pour le Président algérien, qui a pris depuis hier le gouvernail de la Ligue arabe, « ce constat ne doit pas nous dispenser de reconnaître en toute lucidité nos insuffisances propres, nos erreurs et nos échecs pour pouvoir adapter nos politiques et mieux coordonner nos actions ». Abdelaziz Bouteflika, qui sera rejoint entièrement dans son analyse par le président du gouvernement espagnol, présent à l'ouverture des travaux de ce sommet en compagnie de Michel Barnier, le ministre français des Affaires étrangères, a indiqué que la seule planche de salut pour le monde arabe réside, pour sortir de sa léthargie, dans la modernisation économique et sociale et l'engagement, pour un grand nombre de pays, dans une « démarche de démocratisation institutionnelle qu'imposent l'évolution de nos sociétés et les aspirations nouvelles apparues en leur sein ». Le Président algérien, qui a tenu un discours pour le moins subversif, rejoint l'avis des sociétés civiles et des opinions arabes qui sont de plus en plus nombreuses à dénoncer le caractère autoritaire et dictatorial de la plupart des régimes arabes. Des régimes actuellement animés par la tentation de transmettre leur pouvoir de manière héréditaire. Responsabilités Dans son discours qui a suscité un malaise apparent sur les visages de certains leaders arabes présents à ce 17e sommet de la ligue, dont les travaux se tiennent dans le calme et le faste de la résidence d'Etat du Club des Pins, située sur la côte ouest algéroise, M. Bouteflika a stigmatisé aussi de manière subtile la responsabilité de l'organisation panarabe dans la chute aux enfers du monde arabe. En fin diplomate, le président de la République a évité de s'attaquer frontalement à la gestion de la ligue. Il a préféré évoquer plutôt les nombreuses raisons qui ont rendu la Ligue arabe inopérante. En filigrane, le discours du chef de l'Etat évoque également clairement l'impact négatif des égoïsmes, des jeux troubles et des compromissions des pays dans le fonctionnement de l'organisation panarabe. Il évoquera, en outre, aux résistances aux réformes démocratiques de la ligue manifestées, en coulisse, par certaines nations dans le but de sauvegarder uniquement leur statut hégémonique ou protéger leurs intérêts étroits. L'allusion pouvait être faite aussi bien à l'Egypte, qui s'est révélée, ces derniers mois, avec un groupe de monarchies du Golfe arabo-persique, opposée à la refondation de l'organisation panarabe, qu'à la Jordanie, que les observateurs soupçonnent de sous-traiter pour Israël. D'où, explique-t-on, la tentative de Amman de faire du sommet arabe d'Alger le rendez-vous de la normalisation avec l'Etat hébreu. Une tentative amorcée à travers une démarche (retenue sous la dénomination de proposition jordanienne, ndlr) qui se proposait, selon des experts arabes, d'assouplir le plan de paix arabe, adopté à Beyrouth en 2002, définissant les conditions d'une paix globale, juste et durable entre le monde arabe et Israël. L'initiative jordanienne a été, rappelle-t-on, rejetée en bloc lors des réunions préparatoires au sommet, tenues par le Conseil des ministres arabes des Affaires étrangères. Sur ces questions, le chef de l'Etat algérien, en sa qualité de président du sommet, a saisi l'occasion pour mettre les points sur les i de « manière brutale », diront certains journalistes étrangers, et de rappeler, sans ambiguïté, le caractère impérieux et non négociable de la réforme démocratique de la ligue et les positions traditionnelles de l'organisation panarabe concernant le conflit palestino-israélien (fondées sur le principe de la terre contre la paix). Abdelaziz Bouteflika - pour qui il paraissait presque un devoir sacré de mettre les Arabes face à leurs contradictions - s'est dit, sur une note d'humour, content et soulagé d'avoir vidé son « cœur ». La satisfaction était d'autant plus grande qu'il s'est exprimé devant plus de 1500 représentants de médias internationaux et le gratin de la politique européenne. Et, à l'occasion, le chef de la diplomatie de l'Union européenne (UE), M. Solana, n'a pas manqué de fournir son soutien aux réformes structurelles de la ligue.