L'actuel affrontement entre le pouvoir politique et les magistrats n'est pas une nouveauté sous le soleil d'Egypte. La création du Club des juges en 1936 comme sorte de syndicat, avait alors répondu aux besoins des magistrats de se démarquer de la justice imposée par l'occupant anglais, complice de la monarchie. « La justice en Egypte a toujours été liée à la question nationaliste », commente le magistrat Hicham Bastawissi. En 1943, les magistrats égyptiens prennent l'initiative de codifier l'indépendance de la justice face aux législations britanniques. La révolution menée par Gamal Abdenasser à la tête des officiers libres en juillet 1952 contre la monarchie du roi Farouk a bousculé le système judiciaire imposant les « tribunaux révolutionnaire », une juridiction d'exception tolérée par les magistrats qui avançaient alors la « spécificité de l'étape historique ». « Le pouvoir politique a alors profité de cette « spécificité » pour s'attaquer à l'indépendance de la justice en annulant le principe de l'élection des magistrats au Haut conseil de la magistrature et en imposant le mode de la désignation », explique Bastawissi. En 1969 le pouvoir met à la retraite 167 juges pour avoir réclamé plus d'ouverture politique et qui avaient refusé que le ministère de la Justice impose sa propre liste de magistrats pour l'élection du conseil d'administration du Club des juges. Ces juges ont été officiellement accusés d'avoir monté une organisation secrète. L'affaire est restée inscrite dans les annales sous l'appellation « le massacre des juges ». Sadate, qui arriva au pouvoir suite au décès de Abdenasser en 1970, annula les décisions du « massacre des juges » pour regagner la popularité qui lui manquait aux premières années de son mandat, mais il a maintenu les lois de l'époque Abdenasser et qui limitaient l'indépendance de la justice. En 1976, les juges sont obligés d'adhérer au parti de l'union socialiste car considérés comme faisant partie de la classe aristocratique. Une bonne partie des magistrats a refusé. « Le pouvoir défend la thèse de la “coopération entre les pouvoirs” en remplacement du principe de la “séparation des pouvoirs”. « A son arrivé au pouvoir, Hosni Moubarak a renforcé le pouvoir exécutif, a affaibli le législatif mais a renforcé le judiciaire pour bénéficier d'une légitimité. Abdenasser avait la légitimité de la révolution de 1952, Sadate avait celle de la guerre de 1973 contre Israël, mais Moubarak n'avait pas eu de chances historiques. Il voulait que les juges deviennent une partie intégrante du pouvoir mais il a vite compris que cela était difficile », rappelle Houssam Bahgat, responsable de l'ONG Initiative égyptienne pour les droits de la personne.