3 Mai 2014. A l'entame d'un quatrième mandat politiquement anachronique, le président Bouteflika invite la presse à être «soucieuse de l'intérêt national et imbue du sens des responsabilités». Quel saut démocratique ! Il est bien triste de constater que le régime n'est pas encore parvenu à entrer dans la vie moderne. Qu'il n'ait pas intériorisé les codes de la société dans laquelle il évolue. Prisonnier de ses conceptions ringardes et rétrogrades, il n'est même plus capable de faire un geste, fut-il futile, à savoir féliciter les journalistes algériens à l'occasion de leur fête, en ce 3 mai, Journée mondiale de la liberté d'expression. Il ne pouvait, hélas, résister à la tentation de jouer les trouble-fête et les rabat-joie en prenant soin de souligner ses «lignes rouges» juste après sa profession de foi en la liberté d'expression et de la presse. Cette attitude déclinée dans le message du président Bouteflika résume bien la philosophie du régime, pour qui la liberté de la presse est moins un acquis démocratique qu'un fardeau à supporter jusqu'à certaines limites. C'est un peu un mal utile pour vendre une image légèrement fardée à l'étranger. Là s'arrête le rôle de la presse libre pour le pouvoir. Elle lui sert juste d'alibi démocratique. En interne, elle est tenue en laisse et désignée quasiment comme un empêcheur de gouverner en rond. En quinze ans de pouvoir, Bouteflika et son régime ont largement prouvé tout le «bien» qu'ils pensent de la presse en général et privée en particulier. A coups de pressions multiples, de chantage à la publicité, de procès en série, d'emprisonnements, rares sont les journaux qui ont résisté à ces assauts incessants.Dans les rédactions des médias publics, les journalistes ont été fonctionnarisés. Le service public sous Bouteflika équivaut à servir son excellence… C'est, toutes proportions gardées, le même schéma qu'on retrouve dans certaines nouvelles chaînes de télé dites privées. Les Algériens étaient soulagés de voir enfin des JT et des talk-shows osés, qui s'écartent des sentiers battus de l'Unique. L'ouverture par effraction de l'audiovisuel dans le sillage des «réformes politiques» au privé a charrié un immense espoir d'en finir avec le journalisme soviétique en vogue en Algérie. Mais l'élection présidentielle a tôt fait de refermer cette parenthèse enchantée. Le régime, qui est encore allergique à l'expression libre, a rappelé à ces chaînes de télé qu'elles sont encore «informelles» et restent en liberté… surveillée. Du coup, elles sont devenues indépendantes de leur volonté. Que pourrait faire pour autant le pouvoir contre les médias citoyens que sont les réseaux sociaux et les journaux électroniques ? Le monde est plus qu'un village, c'est un immense écran. Il serait donc illusoire de vouloir perpétuer le contrôle des médias en abusant du «sens des responsabilités» qui fait cruellement défaut à ceux qui s'en gargarisent.