Un décret publié, en catimini, dans le Journal officiel le 25 décembre 2005 (décret exécutif n°05-488 du 22 décembre 2005 portant transformation de la nature juridique de l'Agence nationale d'archéologie et de protection des sites et monuments historiques et changement de sa dénomination, du chef du gouvernement) décide d'une « restructuration » de l'institution jusque-là chargée de la protection du patrimoine archéologique à travers l'ensemble du pays. Pourquoi en catimini ? Un projet de loi avait, certes, été éventé pendant l'été et avait suscité l'indignation de la cellule syndicale affiliée à l'UGTA qui, à aucun moment, n'avait été associée ni même informée de ce qui pourtant concernait les travailleurs en premier lieu. Cette méthode a perduré malgré les instantes demandes d'audience à la tutelle, puisque l'information leur est parvenue un beau matin du mois de janvier, c'est-à-dire près d'un mois après la publication du décret au JO et presque par hasard. Après le procédé qui laisse, pour le moins, à désirer, examinons maintenant ce qui nous tient directement à cœur, puisqu'il concerne l'avenir immédiat du patrimoine archéologique de notre pays, à savoir le texte de loi, lui-même. D'abord, l'institution, anciennement EPA, subventionnée par l'Etat, devient Epic, c'est-à-dire, un établissement public à caractère industriel et commercial. Je rappelle qu'on parle ici de patrimoine, donc d'identité : chercher à le rentabiliser, comme ça, tout de go, il faut oser le concept ! Dans ces conditions, puisqu'il y a changement de vocation, qu'il ne s'agit plus de protéger le patrimoine mais de l'exploiter, une nouvelle dénomination s'impose : l'établissement devient Office national de gestion et d'exploitation des biens culturels protégés. Cet office devra se suffire financièrement au bout de trois ans durant lesquels il bénéficiera d'une subvention. Comment pourra-t-il y arriver ? D'abord en ne s'encombrant pas d'un personnel nombreux et spécialisé auquel d'ailleurs, il ne pourra assurer la sécurité de l'emploi. Ce qui veut dire que le patrimoine ne sera plus sous la protection de professionnels. Puis, obligation est faite à cette entreprise tel que spécifié dans les textes d' « assurer la mise en location... des biens culturels protégés... à des fins culturelles (mais pas uniquement), professionnelles, artisanales et/ou commerciales ». C'est-à-dire livrer les plus beaux sites qui seront bien sûr les plus sollicités aux plus offrants ou tout simplement à n'importe quel prix si la demande ne suit pas ! Quand on connaît l'état de dégradation dans lequel sont nos vestiges historiques, il ne faut pas, à ce rythme-là, leur compter beaucoup de lendemains ! Car, si le texte spécifie bien les règles de l'exploitation, rien n'est dit sur la protection des sites et leur restauration, pourtant si nécessaire, voire urgente. Ce n'est pas une Epic qui par définition cherche à faire des gains qui financera des opérations de restauration si coûteuses. Par ailleurs, même si cette entreprise devait faire des bénéfices, il n'apparaît nulle part dans le texte l'obligation de réinvestir dans la conservation des sites. La question que nous posons est : comment peut-on demander à un patrimoine si riche encore, par-devers nous, mais si fragile, de vendre de cette manière ? Certes, le patrimoine, c'est le cas ailleurs, peut être source de richesse. Mais la comparaison, si elle est en faveur de notre patrimoine du point de vue de sa beauté et de sa diversité, est loin d'être à notre avantage sur le plan de la gestion, de la valorisation et de la protection. Dans d'autres pays, le patrimoine est restauré, conservé, protégé, c'est-à-dire aimé, tout simplement, avant d'être « exploité » et là encore dans le souci de le partager, de le faire admirer, d'en tirer gloire autant que profit et toujours et avant tout dans le respect de son intégrité. Il est déplorable, en outre, de voir que c'est sur proposition du ministère de la Culture que ce décret a été adopté, reprenant mot pour mot le texte du rapport initial. Il faut revenir d'ailleurs sur l'entrée en matière de ce rapport qui cite le nouvel ordre mondial (rien que cela !) comme prétexte à valider une telle réforme. Nous sommes bien les premiers à accueillir ainsi la mondialisation. Ce doit être la spécificité nationale qui touche là à l'excès de zèle. D'autant qu'il ne serait pas étonnant que ce texte soit en totale contradiction avec les chartes internationales de protection du patrimoine pourtant dûment signées par les plus hautes instances de l'Etat. A voir... Pour finir, un mot pour nous solidariser avec nos collègues et amis de l'ex-agence qui comptait 580 employés (professionnels, personnel d'administration), le décret leur laissant le choix entre rejoindre l'Epic, c'est-à-dire se diriger vers un avenir incertain ou rester fonctionnaire et être mis à la disposition de la tutelle qui sera libre de les placer où bon lui semblera. Quand on sait que pour la seule ville d'Alger, plus de deux cents employés devront trouver des postes dans les quelques structures locales du patrimoine (musées au nombre de quatre, direction de la culture, ministère, centre de recherche archéologique encore fictif), on peut s'inquiéter avec eux de leur proche avenir.