Placé sous mandat de dépôt pour avoir dénoncé la corruption dans sa commune, Khaled Boucif, élu de l'APC de Bnoud (El Bayadh), est resté plusieurs mois en prison. Victime d'une corruption invisible et systémique, celle qui gangrène les administrations locales Labiodh Sidi Cheikh de notre envoyé «Dénoncer la corruption est un acte citoyen. Durant mon seul mandat passé à l'Assemblée populaire communale de Bnoud, j'ai fait de la lutte contre les corrompus et la corruption mon combat de tous les jours. J'ai été placé sous mandat de dépôt pour avoir dénoncé ces pratiques mafieuses et je ne regrette rien aujourd'hui. J'ai fini par avoir gain de cause.» Placé sous mandat de dépôt depuis le 30 mai 2013 pour les nombreux dossiers dénonçant et prouvant la corruption dans sa commune, gardés précautionneusement chez lui, Khaled Boucif, 47 ans, ex-vice-président de l'APC de Bnoud (2009-2012), à 200 km au sud de la wilaya d'El Bayadh, se rappelle avec amertume de ces neuf mois et 17 jours passés en prison. Car ses nombreuses démarches de dénonciation lui ont valu une contre-attaque de ses détracteurs auprès de la justice. «Les élus corrompus que j'ai dénoncés ont tout fait pour me bousiller la vie. Plusieurs lettres anonymes ont été adressées au tribunal de Labiodh Sidi Cheikh pour pousser la justice à m'accuser de choses que je n'ai pas faites. Malheureusement, ils ont réussi leur coup avec la complicité du procureur de la République du même tribunal», s'indigne Khaled Boucif, rencontré chez lui à Labiodh Sidi Cheikh, à 120 km d'El Bayadh. Choqué Dans cette affaire, Khaled Boucif a été accusé d'abus de confiance commis par un fonctionnaire, de mauvaise gestion et d'avoir pris des pièces administratives des dossiers de l'APC. Ces pièces en question sont en réalité des dossiers attestant avec preuves la corruption dans la commune de Bnoud, une région saharienne, dont la plupart des administrés sont des nomades. «Il faut souligner pour la première accusation que je ne suis pas un fonctionnaire de l'Etat mais un élu du peuple. Pour la deuxième, on m'accuse d'avoir pris à mon compte les cachets administratifs de l'APC alors qu'une pièce justificative, signée par les élus eux-mêmes dont le P/APC, atteste le contraire», affirme Khaled. Munis d'un mandat de perquisition le soir du 26 mai 2013, les policiers fouillent son domicile. «Ils sont venus chercher les dossiers en question, mais ils n'ont trouvé que les pièces que j'ai déjà présentées à la justice lors de mes nombreux dépôts de plainte. Ils m'ont mis en prison malgré ça. Ils ont choqué ma famille et fait peur à mes enfants. Mais ils n'ont pas réussi à me casser après tant de mois passés dans le désarroi», affirme-t-il. Militant du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), père de cinq enfants, ex-étudiant en médecine, Khaled, élu en 2007 membre de l'assemblée qui compte sept élus, devient vice-président en 2009 après la destitution de son prédécesseur. Suspendus Connu dans son voisinage pour sa détermination, il nous parle aujourd'hui des nombreuses affaires dénoncées après sa sortie de l'établissement pénitentiaire de Labiodh Sidi Cheikh, le 17 mars 2014. La première remonte à juillet 2008 : il s'agit des listes de bénéficiaires de contrats d'emploi salarié avec initiative locale (ESIL) comportant, selon Khaled et selon le chef de la daïra, des noms de proches et amis des élus et responsables de la commune de Bnoud, censés accomplir des tâches ouvrières. La somme des contrats payés est de plus de 1,2 million de dinars. «J'ai directement alerté la wilaya en lui demandant d'ouvrir une enquête sur les listes en question. Des noms de jeunes filles et de jeunes hommes, des femmes au foyer ont été inscrits, dont la plupart ne sont même pas de Bnoud», assure Khaled. La wilaya responsabilise, le 21 septembre 2008, l'ex-chef de daïra de Labiodh Sidi Cheikh pour établir un rapport détaillé sur cette affaire. «Les listes en question ont été établies sans la présence de la commission des affaires sociales qui est habilitée à désigner qui de droit. Les feuilles de pointage sont inexistantes», lit-on dans ce rapport. Le chef de daïra affirme aussi : «Les responsables de la commission des affaires sociales et le receveur intercommunal de la daïra de Labiodh reconnaissent l'inégalité de l'opération et que les personnes désignées n'ont accompli aucune tâche.» Les deux responsables ont été suspendus et l'affaire a été confiée à la justice. Dilapidation «Le P/APC a déclaré qu'il était absent pendant cette période, alors qu'il est signataire des mandats de paiement. La chambre d'accusation, qui a statué sur l'affaire, a demandé à ce que le P/APC soit poursuivi en justice pour dilapidation de l'argent public avec trois autres élus, dont son adjoint, pour participation à cette arnaque. L'affaire est actuellement au niveau de la Cour suprême. Le P/APC et son adjoint ont été suspendus de leurs fonctions pour corruption», confirme Khaled Boucif. Lors des inondations qui ont touché la commune de Bnoud en octobre 2008, la commune a été classée zone sinistrée et a bénéficié de l'aide de l'Etat et de celle du Croissant-Rouge algérien en produits alimentaires. «C'est l'adjoint du P/APC qui a reçu, à son nom, ces aides. Entre la quantité reçue de la chambre de commerce et celle distribuée, j'ai constaté qu'il y a eu détournement», révèle Khaled. Il dénonce et demande au wali d'ouvrir une enquête, puis dépose une plainte contre l'adjoint, le 30 mai 2009, sur cette affaire. «L'affaire a été classée.» Le 21 février 2009, Khaled est désigné comme vice-président de l'Assemblée populaire de Bnoud «après la destitution du P/APC et de son adjoint pour affaire de corruption». Le 22 novembre 2009, il dépose de nouveau une plainte. La section régionale de la gendarmerie de la même daïra confirme les faits dans son rapport établi, le 4 janvier 2010, et conclut : «Il n'est pas des prérogatives de l'adjoint de l'APC de s'occuper d'une telle tâche qui relève de la responsabilité de la cellule de crise installée par la commune. Il paraît que six membres de sa famille ont eux aussi bénéficié de ces aides !», lit-on dans le rapport de la gendarmerie. Conciliation En juin 2010, la première chambre du tribunal de Labiodh statue sur l'affaire. L'adjoint est traduit devant la justice pour détournement des biens de l'Etat. Le 3 octobre 2009, il dépose une plainte contre le P/APC qui a désigné un proche à la place de l'un des bénéficiaires des deux projets d'aménagement offerts par la Direction de l'activité sociale. C'est grâce à sa vigilance que de nombreuses affaires de corruption n'ont pas été conclues, notamment celle concernant l'achat d'un bus de 30 places de marque Mitsubishi qui a failli coûter 3 millions de dinars de plus à la caisse de la commune. Autre affaire : celle du versement d'un mandat sous forme de caution d'avance forfaitaire d'un montant de 5 200 000 de dinars pour un entrepreneur sans qualification qui avait la charge de réaliser un château d'eau non encore construit. Ce dernier avait falsifié des documents de la BNA attestant ses capacités financières. Khaled contacte le directeur de la banque qui certifie l'inégalité des documents et poursuit en justice l'entrepreneur. «La justice a condamné l'entrepreneur à 2 ans de prison ferme pour faux et usage de faux sans qu'elle touche toutefois aux responsables de notre APC !», s'étonne Khaled. Le combat de Khaled Boucif contre la corruption aboutit. L'adjoint de la commune a été démis de ses fonctions par une décision de la DRAG, le 6 juillet 2011. Le 22 août de la même année, le P/APC connaîtra le même sort. La lutte de Khaled continue. La justice lui suggère aujourd'hui d'accepter une conciliation avec le procureur de la République du tribunal de Labiodh Sidi Cheikh qu'il tient aussi pour responsable de ce qu'il a subi. Khaled Boucif refuse l'offre. «Je ne ferai pas marche arrière. Mon combat est juste et ce qu'ils m'ont fait subir est injuste. Que ce que j'ai vécu soit un exemple de résistance pour tous mes semblables. Il n'y a que la lutte qui paie.»