A quelques jours de l'élection présidentielle, le candidat nassériste fait campagne à travers toute l'Egypte. Alors que beaucoup parlent d'une élection jouée d'avance en faveur de l'ex-ministre de la Défense, Abdelfattah Al Sissi, Hamdeen Sabahi croit en ses chances de remporter le scrutin. Egypte De notre correspondante -Selon vous, combien de temps faudrait-il pour réaliser votre programme et atteindre des résultats significatifs, notamment dans la lutte contre la pauvreté ou le travail des jeunes ? Trois ou quatre années seraient suffisantes et les résultats apparaîtront progressivement. Nous avons un plan sérieux pour favoriser le retour en force du secteur public en Egypte. C'est un secteur qui a été détruit et cela a beaucoup affecté les travailleurs égyptiens. Nous allons créer une nouvelle administration qui remplacera l'ancienne, incompétente et corrompue, et investir massivement dans le secteur public, appauvri par des années de privatisation. Les ouvriers participeront à l'administration, elle-même chapeautée par un ministre du secteur public. Comment va-t-on le financer ? Nous rectifierons le budget de l'Etat qui comporte beaucoup d'erreurs et nous mènerons une véritable guerre contre la corruption. Plusieurs milliards afflueront alors dans les caisses publiques. Nous pourrons ainsi financer cinq millions de microprojets pour les jeunes. -Comment lutter contre la corruption ? D'abord, nous créerons une agence de transparence et réviserons les lois qui rendent possible cette corruption. Les dispositifs de contrôle pourront alors engager une procédure judiciaire sans passer par l'Exécutif. J'augmenterai également le salaire moyen des Egyptiens pour réduire les tentations de recourir à la corruption. Il faut que le salaire des fonctionnaires soit correct. Je prévois aussi de créer une loi contre les intérêts d'un homme politique dans des investissements. Cette lutte exige une attitude exemplaire du pouvoir politique. Concernant la fiscalité, nous proposerons la mise en place d'un impôt progressif, de 20 à 40%. Jusqu'à maintenant, tous les Egyptiens paient l'équivalent de 20% de leurs revenus. -Depuis plusieurs mois, l'armée égyptienne mène une guerre contre le terrorisme dans le Sinaï, pénalisant fortement la vie des habitants dans cette péninsule. Comment comptez-vous rétablir l'ordre ? Nous demanderons d'abord que forces de sécurité et militaires soient présents sur tout le territoire du Sinaï. Aujourd'hui cela n'est pas possible au regard des accords de Camp David (le texte signé en 1978 entre l'Egypte et Israël limite la présence militaire égyptienne dans le Sinaï, ndlr). Nous essaierons donc de modifier cette limitation dans le respect de la législation internationale. Par ailleurs, nous ne pouvons pas lutter contre les terroristes sans programme de développement dans la région du Sinaï. Il faut que ses habitants se sentent autant citoyens égyptiens que les autres, sans discrimination. Qu'ils aient la possibilité de posséder une terre ou une maison et qu'ils soient présents dans les institutions de l'Etat. -Depuis juillet dernier, des milliers d'Egyptiens ont été arrêtés alors qu'aucune charge ne pèse sur eux, aussi bien des partisans des Frères musulmans que des activistes ou des journalistes. Que comptez-vous faire à ce propos une fois élu ? Nous pensons que seuls les criminels et les terroristes ont leur place dans les prisons égyptiennes et non des citoyens pacifiques. Je modifierai la loi sur les manifestations qui va à l'encontre de la Constitution, dans le respect des remarques faites par le Conseil national des droits de l'homme. J'accorderai une grâce présidentielle à toutes les personnes emprisonnées en raison de cette loi. En Egypte, personne ne sera emprisonné pour ses idées. Pour cela, nous avons comme projet de réformer les appareils étatiques. Nous ne détruirons pas l'Etat, au contraire, nous renouvellerons ses compétences. Et les policiers, comme les autres fonctionnaires, profiteront de ces réformes. Cela se fera dans la concertation. Nous changerons le système de formation et d'entraînement dans les écoles de police et, grâce à cela, nous aurons des policiers qui respecteront les droits de l'homme et la loi. Certes, la police a fait beaucoup d'erreurs, mais elle a aussi été victime de la faillite de l'Etat. -Pensez-vous avoir des chances de remporter le scrutin face à un candidat soutenu par l'institution militaire et qui bénéficie d'une manne financière largement supérieure à la vôtre ? Nous, nous avons plus que tout cela : le peuple égyptien. Il est plus riche et plus fort que tout l'argent présent de l'autre côté. Nous avons une classe moyenne qui aspire à un pouvoir démocratique et civil et 50% de la population qui vivent sous le seuil de pauvreté. Notre projet de justice sociale va dans le sens de leurs intérêts. Ils me confieront cette mission. Le peuple connaît l'action que je mène depuis quarante ans pour défendre les pauvres et la justice. Nous avons la majorité avec nous. Notre légitimité morale et politique, nous la tirons du fait que nous sommes l'expression de la Révolution. Oui, les difficultés sont grandes : l'Etat soutient un camp et nous l'avons compris. Dans cette bataille, nous prouverons qu'il est possible d'organiser une élection sans fraude et nous contraindrons l'Etat à rester neutre. Cela sera le fondement de la démocratie. Nous gagnerons l'élection et nous construirons un Etat garantissant la démocratie. Et si nous perdons, nous continuerons dans cette voie, du côté de l'opposition. -Quel sera votre avenir si vous perdez les élections ? Je redeviendrai un citoyen égyptien. Je n'accepterai aucune fonction dans l'Exécutif. Je ferai partie d'une opposition forte dont tout Etat démocratique a besoin. Entretien réalisé par