Douane, chiffre, alcool, houle, jupe, abricot… La langue française regorge de mots d'origine arabe et orientale. Mais comment ces mots ont-ils fait le voyage d'Orient en Occident ? C'était le sujet d'une conférence d'Alain Rey, rédacteur en chef des Editions Robert, mardi dernier à l'Institut français d'Alger. En dialogue avec Georges Morin, président de l'association «Coup de soleil» et organisateur du Maghreb des livres, le conférencier est revenu sur son ouvrage intitulé Le voyage des mots paru en 2013 aux éditions Guy Tredaniel, avec des calligraphies de Lassaâd Metoui. 'idée d'un ouvrage sur les mots français d'origine arabe, persane et turque, est justement venue de l'envie d'une collaboration avec le calligraphe tunisien, confie Alain Rey qui avait réuni assez de matière pour ce projet grâce à ses recherches pour le dictionnaire étymologique du français. L'artiste a accompagné le texte par des œuvres qui font dialoguer la calligraphie arabe et l'art abstrait occidental. Plus qu'une simple recherche d'origine étymologique, ce sont les insoupçonnables pérégrinations des mots d'une langue à l'autre qui ont été mises en avant par le conférencier. «Une langue doit sortir des livres pour survivre», affirme-t-il. Mais le voyage des mots ne se fait pas sans quelques déviations, voire changements radicaux de sens. Alain Rey évoquera le cas du mot «divan» (ou diwan en arabe). En turc, le mot signifiait administration, mais les bureaux ottomans étant bien pourvus en coussins confortables, le sens actuel a progressivement pris le dessus. En outre, le diwan turc est un emprunt au persan qui désigne un registre ou un recueil de textes. Cette acception, également présente en arabe, est passée en Occident grâce au grand écrivain allemand Johan Wolfgang Von Goethe et son recueil Divan occidental-oriental inspiré par le génie poétique persan. D'autres mots ont connu des renversements de sens qui frisent l'absurde. Tel est le cas de la «jupe» qui désigne un vêtement de haut masculin en arabe et un vêtement de bas féminin en français ! Le conférencier ne s'est pas étendu sur l'importance quantitative des mots d'origine orientale en français (une langue n'étant pas une liste fermée de mots), mais il a souligné leur importance qualitative en illustrant : «Un chiffre vaut 2000 hippopotames !». Revenant sur son parcours atypique de passionné des mots, auteur d'un très grand nombre de dictionnaires, avec la particularité de s'ouvrir à toutes les pratiques linguistiques, y compris celles qui n'ont pas droit de cité à l'Académie française, comme le verlan ou le parler des banlieues. Soucieux de la démocratisation du savoir, notamment par les médias de masse, Alain Rey considère le fait de ne pas être universitaire ou spécialiste comme une source d'ouverture et de pédagogie. Sur son rapport avec l'Algérie, Georges Morin rappellera que l'aventure du Robert a commencé dans les années 50' dans une villa à Hydra, où Alain Rey participait à la confection du premier dictionnaire analogique sous la direction de Paul Robert.