Les chefs d'Etat et de gouvernement se sont retrouvés hier soir à Bruxelles pour un tour d'horizon consacré notamment à une analyse du scrutin européen, marqué par la défiance ou le rejet, particulièrement en France où l'extrême droite est devenue la première force du pays. En attendant d'en connaître les résultats, Jean-Yves Camus, chercheur spécialiste de l'extrême droite en Europe, explique ce qui pourrait changer pour les communautés musulmanes installées par exemple en France. -Quelle lecture faites-vous de la victoire du FN aux élections européennes ? Le score du FN constitue une progression supérieure à celle qui était attendue et l'écart avec l'UMP est plus important que prévu. Toutefois le FN n'est pas encore le premier parti de France car il arrive encore loin derrière la droite conservatrice lorsque le scrutin est national, comme aux municipales et aux législatives ainsi bien sûr qu'à la présidentielle. C'est un événement historique dans ce sens que pour la première fois le FN dépasse la droite de gouvernement lors d'un scrutin à l'échelle nationale. En même temps, du fait de l'abstention élevée, le FN recueille 2 millions de voix de moins que Marine Le Pen à la présidentielle de 2012. Ce score du FN souligne la faillite des partis de gauche comme de droite à regagner la confiance des Français : un sondage de mars 2012 montrait que seulement 8% des Français avaient confiance dans les partis politiques et seulement 23% dans le Parlement. Cela montre la profondeur de la crise de la démocratie représentative. -Est-ce que ce succès aura un effet direct sur la politique intérieure française ? Bien sûr, cette victoire aura une incidence sur la politique intérieure. Toutefois n'allons pas trop vite, pour être le premier parti de France, le FN devra avoir plus de deux députés au Parlement national et plus de 11 maires sur 37 000 communes ! Même s'il a sans doute atteint les 60 000 membres, cela reste beaucoup moins que l'UMP et le PS. L'appareil du parti reste faible dans certains départements, voire quasi inexistant. Pour être vraiment le premier parti de France, le FN se heurte aussi au mode de scrutin : avec la proportionnelle, il est premier, avec le scrutin majoritaire, il est troisième. -L'immigration maghrébine est remise en cause souvent par les responsables du FN dans tous les maux que vit votre pays. Y aura-t-il une réaction de part et d'autre ? Le programme actuel du FN consiste, officiellement, non plus à inverser les flux migratoires, donc à renvoyer les immigrés, mais à limiter le nombre d'entrées à 10 000 par an. Je ne suis pas certain que cela satisfasse le militant frontiste de base, pour qui toute immigration extra-européenne est à bannir, d'autant plus quand elle est musulmane. D'un autre côté, le FN ne peut plus ignorer que cette immigration est définitive et qu'il existe une proportion significative de gens qu'on appelle immigrés et qui, dans les faits, sont français. A ceux-là, Marine Le Pen dit que leur place est en France s'ils s'assimilent et le FN précise que cette assimilation nécessite que le «nouveau venu» abandonne une partie de son identité. Cette exigence me paraît impossible à remplir. Je suis favorable à l'intégration, pas à la disparition des différences.