Après sa victoire historique aux élections européennes, Marine Le Pen va essayer de transformer l'essai en capitalisant sur ce succès dans l'optique de la présidentielle de 2017, son véritable objectif. Le scrutin de dimanche a placé pour la première fois le FN en tête d'un vote en France, avec près de 25% des voix, distançant l'UMP (20,8%) et écrasant le PS (14%). En quadruplant quasiment son score de 2009 à cette élection, en faisant plus que doubler son meilleur score jusqu'ici (11,7% en 1989), le FN continue sur sa dynamique ascendante. "On est sur un sans faute depuis l'accession de Marine Le Pen à la tête du parti" en janvier 2011. "Ca avait commencé avec les cantonales de 2011, on a eu la présidentielle, les municipales, maintenant les européennes. Ce sont des scrutins à chaque fois très différents et, à chaque fois, le FN vole de records en records", constate Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion à l'Ifop. "Il y a une espèce d'alchimie entre une situation économique et sociale très porteuse, avec une crise très grave et très profonde, et une situation politique très favorable, avec une gauche au pouvoir complètement démonétisée, et une UMP pas en capacité d'incarner une relève ou une alternative", poursuit-il. Avec 24 eurodéputés, un recrutement de personnel politique et peut-être la constitution d'un groupe à Strasbourg, le parti va pouvoir poursuivre sa stratégie de crédibilisation et d'implantation, après l'élection en mars de plus de 1.500 conseillers municipaux, un premier maillage local. Ce résultat peut "faire en sorte que certaines personnes qui hésitaient à rejoindre le FN le fassent : il va avoir des opportunités à offrir", note Sylvain Crépon, sociologue spécialiste de l'électorat frontiste. Dernier recrutement en date, annoncé jeudi, celui d'un économiste spécialiste de la transition énergétique, Philippe Murer. Le scrutin pourrait aussi entraîner des changements sensibles dans l'appareil du parti : beaucoup de cadres et de permanents vont siéger à Strasbourg. Convaincre 50% des Français plus un ? "Je vais réussir (...), je l'espère, à convaincre 50% des Français plus un", a lancé Marine Le Pen dimanche soir à la sortie du siège du FN à Nanterre. Déjà, ces 25% vont "contribuer à ancrer davantage le FN dans le paysage politique, à en faire l'épicentre. Que va faire l'UMP, sortir de cette course-poursuite avec les idées du FN ou s'y engouffrer encore plus ?"? s'interroge M. Crépon. "Le FN va donner le la", souligne M. Fourquet. D'ici à 2017, il va pouvoir se présenter en bonne position pour les régionales, arrivé dimanche en tête dans 16 des 22 régions de France métropolitaine, avec plus de 30% dans sept d'entre elles. Joël Gombin, doctorant spécialiste du vote FN, rappelle que celui-ci a atteint "un peu plus de 11% des inscrits". Mais c'est "plus de deux tiers des voix de la présidentielle 2012, ce qui est quand même énorme avec ce taux de participation. On est au-delà du simple phénomène de surmobilisation mais aussi dans une dynamique d'approfondissement de sa base électorale". Marine Le Pen, idéalement placée pour 2017 ? S'il n'y a que quelques pas du bar branché l'Elysée Lounge, où le FN a symboliquement fêté son succès dimanche soir, jusqu'au Palais de l'Elysée, en devenir l'occupante reste encore une perspective lointaine. Outre la forte abstention, les européennes, "c'est un scrutin où l'électorat frontiste peut exprimer sans risque l'opposition aux systèmes. C'est régulièrement un vote défouloir, car les électeurs pensent que ce n'est pas si grave de voter pour quelqu'un qui va Parlement européen et qui n'aura qu'un pouvoir limité", relève Jean-Yves Camus, chercheur spécialiste de l'extrême droite. De ce point de vue, les sondages sont assez nets, tel celui réalisé par BVA début mai sur Marine Le Pen. Pourriez-vous lui accorder votre vote lors de la prochaine présidentielle ? "Non, en aucun cas", répondent 73% des sondés, qui à 68% en ont une mauvaise opinion d'elle, et à 78% ne lui font pas confiance pour gouverner le pays. Seuls 18% des sondés jugent par ailleurs "souhaitable" son plan de sortie de l'euro, l'un des piliers de son programme. Enfin, autre enseignement, elle est distancée (35%) dans un duel avec François Hollande (55%), pourtant au plus bas dans les sondages, et plus encore (18%) avec Nicolas Sarkozy (68%). Jérôme Fourquet : "Les arbres ne montent pas forcément au ciel, et l'élection européenne répond à une logique particulière. Mais attention à ceux qui vont minimiser le score..."