La sexualité reste un tabou. Pourtant, il faut bien en parler tant c'est la voie sexuelle qui prédomine dans la transmission du sida. Selon les statistiques rendues publiques récemment par le laboratoire national de référence, relevant de l'Institut Pasteur, il y a 700 cas de sida et 1908 personnes séropositives. Le chiffre serait beaucoup plus important aujourd'hui. Le non-recours au dépistage empêche de connaître la réalité sur le cas de sidéens en Algérie. En l'absence de vaccin pour cette maladie, qui a fait son apparition en Algérie en 1985, la seule et unique politique pouvant limiter cette endémie reste la prévention. A ce titre, le préservatif reste pour le moment le premier moyen de lutte. Cependant, cette lutte suscite des résistances dans la société. C'est du moins ce que nous avons constaté durant notre périple à travers certaines régions du pays lors du « tour de l'espoir » contre le sida et la drogue, organisé du 25 au 29 juin dernier par l'association Etoile culturelle d'Akbou. Que ce soit à Sétif, à Béjaïa, à Tizi Ouzou ou à Alger, villes par lesquelles la caravane des cyclistes participant à cette manifestation a transité, le mot préservatif reste pour la population un tabou. Il suscite même parfois des réactions violentes. Comme à Tizi Ouzou où la distribution des préservatifs par l'Etoile culturelle a failli tourner au vinaigre. Profitant de l'arrivée de la caravane à Tizi Ouzou, trois énergumènes, identifiés de par leur discours et leur tenue vestimentaire comme étant des islamistes, ont fait irruption dans le hall de la maison de la culture Mouloud Mammeri en saccageant l'exposition montée par l'Etoile culturelle d'Akbou. Identifié, l'un d'eux, après avoir fait ses aveux à la police, a expliqué sa sale besogne par sa manipulation par un imam qui lui aurait dit que ces jeunes sont en train de promouvoir la prostitution dans la région de Tizi Ouzou. A Sétif, certains jeunes interrogés ont interprété, pour leur part, les explications données dans un prospectus sur l'usage du préservatif comme une manière de sensibiliser les jeunes à verser dans la prostitution. Pour un membre de l'association Etoile d'Akbou, « les imams échappent au contrôle du ministère des Affaires religieuses », estimant que l'islamisme reste un ennemi de la lutte. « Est-ce que l'interdit est fait pour régler quelque chose ? », s'est-il interrogé. Les préservatifs, rappelle-t-il, sont remis à des jeunes à risque à titre préventif. « Ils ne sont pas distribués pour inviter les gens à se prostituer, mais pour se protéger », a-t-il tenu à expliquer. Le débat sur la sexualité suscite des controverses. On s'aperçoit que certaines populations font toujours l'amalgame entre la promotion de la sexualité et la prévention. Aux yeux de Nouhri Akli, psychologue et animateur de prévention à la Ligue de prévention et de sauvegarde de la jeunesse et de l'enfance (LPSJE) à Tizi Ouzou, « la société algérienne n'a pas le choix ». « Il y a un changement dans le comportement des gens qui doit être accompagné d'une meilleure prise en charge par une éducation sexuelle », dira-t-il. Notre interlocuteur met l'accent sur l'éducation sexuelle qui doit, précise-t-il, commencer dès l'enfance. « La sexualité est née chez l'homme. Même si l'on parle de fidélité ou d'abstinence, il y a beaucoup qui prennent des risques », a-t-il regretté. Face à cette fâcheuse réalité, à ses yeux, le mouvement associatif doit avoir un programme continu d'information, soulignant l'importance d'expliquer dans la prévention le thème de la séropositivité. Le chef d'unité du centre de transfusion du CHU de Tizi Ouzou, le Dr Chriet, estime qu'il faut inviter les gens à changer de comportement. Mme Chriet met en exergue la nécessité de mettre en place « un programme de prévention efficient et bien organisé » pour la sensibilisation des populations à risque. Pour elle, afin de mieux se prémunir contre cette endémie, il faut parler aux gens dans la langue qu'ils comprennent. « Pourquoi ne pas parler du préservatif, il faut dire des choses clairement, sans le cacher », tonne-t-elle. Le premier cas de sida à Tizi Ouzou, rappelle-t-elle, a été déclaré en 1988. Au début, explique-t-elle, les personnes contaminées, c'étaient des gens qui revenaient de l'étranger, mais aujourd'hui la transmission du VIH est autochtone. Quelque 70 cas de sida (entre séropositifs et sujets entrés dans cette maladie) ont été dénombrés dans cette wilaya durant la période allant de 1988 à ce jour, a indiqué Mme Chriet. Celle-ci a assuré, pour souligner le strict contrôle du sang, qu'« aucun cas de contamination par le virus du sida par voie de transfusion sanguine n'a été enregistré dans la wilaya. Il y a eu au total trois cas de transmission du virus par la voie de mère à enfant dans la wilaya de Tizi Ouzou », selon notre interlocutrice. Le président de l'Etoile culturelle d'Akbou, Miloud Salhi, estime que la pédophilie et la prostitution sont des phénomènes qui existent, donc il faut en parler. « La libération des mœurs, qui contraste dangereusement avec une société conservatrice et qui enregistre un déficit énorme sur les plans de la communication et de l'éducation sanitaire, constitue l'un des risques face au VIH/sida », selon M. Salhi. Face à ce danger, la seule alternative pour parvenir au ralentissement du sida reste la prévention continuelle. A ce propos, la constitution d'un réseau national de lutte contre cette endémie s'impose. Les pouvoirs publics, qui supportent 40 000 DA pour une trithérapie d'un seul cas et durant seulement un mois, devraient réfléchir à la mise en place d'une véritable stratégie de prévention en n'omettant pas le volet formation des intervenants sur le terrain de la sensibilisation des populations à risque.Un programme d'éducation sexuelle dès l'enfance est plus que jamais une urgence pour moraliser et relever le niveau de la société.