C'était une voix émouvante, une présence scénique troublante et une femme de cœur. Nora est décédée ce dimanche, à 5 heures du matin, entourée de ses proches à Paris, des suites d'une longue maladie. C'était une brave femme, elle a honoré la chanson algérienne et l'Algérie», témoigne son époux et compositeur Kamel Hamadi, quelques heures après son décès. Pudiquement. Leur histoire d'amour et d'art se mélange à celle de l'Algérie. Celle qui n'était encore que Fatima Zohra Badji venait de débarquer de Cherchell à Alger avec plein de rêves. La Bataille d'Alger venait juste de se terminer. La jeune adolescente se voyait déjà en haut de l'affiche. Dans le journal unique, El Moudjahid, une annonce attire son attention : «Cherche speakerine». Elle s'y rend, avec le bagout qui la caractérisait. Elle lit un texte en arabe et en français. Rezzoug, directeur à l'époque, est sous le charme. «Vous avez une belle voix, vous devez faire de la musique, pas speakerine», lui suggérant ainsi que ce serait un gâchis d'être une plante verte annonçant les programmes. «Je le sais, je suis là pour le chant pas pour autre chose.» Muse et Pygmalion. Tous les chemins ne mènent pas à la gloire, certains passent par Bab El Oued. La jeune Zohra Badji a une adresse : «Le Rouget, tailleur à Bab El Oued». Le «Rouget», Kamel Hamadi, venait de composer une chanson qui marquera plusieurs générations Mmi Azizen, (Mon enfant chéri), au Cardinal, Hadj El Anka, qui tenait à répondre en langue kabyle à son fils Mustapha qui l'avait interpellé en arabe dans Ya abi, (Mon père). S'ensuivit une histoire d'amour qui a duré plus de 60 ans. Le «Rouget», Larbi Zegane pour l'état civil, et «Nora» ne se lâcheront plus, jusqu'à ce que la Faucheuse vienne les séparer ce dimanche. Une évidence. «La première fois que j'ai vu Nora, je me suis dit : Kamel et Nora se sont trouvés», confie Lounis Aït Menguellet. Nora chante, premier essai, et déjà le succès. Elle reprend Mon cœur pourquoi me fais-tu pleurer de Warda et une composition de Mahboub Bati. Le standard téléphonique, l'équivalent du Hit-parade d'aujourd'hui, explose. Une étoile est née. Fatima Zohra Badji et Larbi Zegane s'unissent, Nora et Kamel Hamadi s'envolent en noces artistiques qui vont durer des dizaines d'années. Et Tepaz venait de débarquer, une révolution dans la production et la diffusion en Algérie. Les deux artistes prennent le chemin de Paris. Nora ajoute une corde à son arc : elle enregistre un album en français où elle interprète Une vie de Michel Berger. Résultat : disque d'or et la Une de Paris-Match, une première pour une artiste algérienne. «Elle a chanté tous les genres musicaux algériens : el asri, le bedoui, le kabyle, chaoui, etc. Elle a et nous a fait voyager à travers la musique algérienne», témoigne le poète Mohamed Benmohamed, auteur de Vava inuva et Tecna ghef izinew. «Kamel Hamadi a toujours donné la touche kabyle aux différents styles musicaux. Il a réussi à faire chanter Nora en kabyle, et d'une façon extraordinaire», confirme Lounis Aït Menguellet. Le couple Hamadi-Nora a chanté l'Algérie plurielle, ouverte. Une Algérie loin de tout sectarisme. «Après notre mariage, nous avons décidé de nous rendre en Kabylie, dans mon village, à Ath Saâda. J'avais des appréhensions. Finalement, tout s'est bien passé, elle a été très bien accueillie par toute ma famille», se souvient, très ému, son époux. Forte et sensible La maladie est — une litote — toujours une mauvaise compagne, collante, ogresse. Elle s'est imposée à Nora depuis de longues années. Les hommages s'enchaînent, mais l'artiste disparaît de la scène. «C'est le symbole de la femme forte et sensible. Je l'ai connue et chanté avec elle. Elle m'a marquée. Je n'oublierai jamais mon duo avec elle à Tipasa. Je suis triste aujourd'hui, effondrée, c'était une grande dame. J'aimerais avoir la même carrière qu'elle», affirme la chanteuse Amel Zen, originaire elle aussi de Cherchell. Fatima Zohra Badji s'en est allée, Nora demeurera à jamais. Elle a ouvert la voie à de nombreuses artistes. Les artistes ne meurent jamais…