Qu'ils étaient beaux et sympathiques ces deux jeunes gens ! Ils s'aimaient tant qu'ils avaient décidé de se marier très vite. Sans même prendre le temps de meubler leur appartement situé sur une avenue plutôt calme, mais juste au-dessus d'un arrêt de bus. Les moyens existaient pour le faire, mais le temps leur manquait. C'est qu'ils travaillaient beaucoup tous les deux et lui était souvent en mission. Quand ils se retrouvaient, seul leur amour les occupait. Il fallait pourtant s'installer un peu. Lors d'une absence de son mari, la jeune femme prit un congé pour s'occuper de la maison. Pour commencer, elle décida d'acquérir une armoire. Grâce aux immenses progrès faits par notre société… tout se passa très vite. Elle commanda l'armoire et la paya par Internet. Dès le lendemain, à la première heure, des ouvriers compétents et dynamiques l'installèrent en un temps record. Satisfaite, elle leur donna un bon pourboire. Elle ramassa alors les affaires qui traînaient dans tous les coins de l'appartement et les tria. Elle mit un soin particulier à ranger les costumes de son mari et, notamment, celui qu'il portait le jour de leur mariage. Quel merveilleux souvenir ! La besogne terminée, elle alla s'asseoir, laissant son esprit vagabonder… Soudain, les deux battants de sa grande et belle armoire s'ouvrirent. Etonnée, elle se leva pour les fermer et retourna s'asseoir. Un moment plus tard, les portes s'ouvrirent à nouveau. Elle alla les refermer en espérant que le manège allait s'arrêter. Mais, ce ne fut pas le cas. Durant le reste de la journée et une partie de la nuit, les portes ne cessaient de s'ouvrir à intervalles réguliers. Il y eut un moment d'accalmie à partir de minuit jusqu'à l'aube, mais dès 6h du matin, les portes se remirent à s'ouvrir. A 8h, elle appela l'entreprise qui avait livré l'armoire pour l'informer de l'étrange phénomène. A 8h30 précises, un ingénieur-expert, c'est ainsi qu'il se présenta, sonna à la porte. Elle lui décrivit ce qui se passait depuis l'installation du meuble et précisa que de minuit à 6h du matin tout avait été normal. Notre expert se mit au travail. Il commença par contrôler les portes, les démonta et puis les remonta. N'ayant décelé aucune malfaçon, il tranquillisa la dame. Alors qu'il s'apprêtait à quitter les lieux, les portes de l'armoire s'ouvrirent soudainement. Au même moment, des crissements de pneus annonçaient l'arrêt d'un bus dans la rue, sous les fenêtres de l'appartement. C'est alors que notre jeune dame établit une relation entre les portes de son armoire et les portières du bus de la RSTA, c'est ainsi que l'on dit chez nous, car nous aimons le R de Régie et S de syndicat, qui venait de marquer l'arrêt au pied de son immeuble. L'ouverture des portes de l'armoire était simultanée à l'ouverture des portes du bus ! Mais alors que celles du bus se refermaient au démarrage, celles de l'armoire restaient largement ouvertes. Nous aurions aimé avoir le talent de Boulgakov pour décrire tout cela : le bus, l'arrêt, l'armoire, les portes. En effet, dans son chef-d'œuvre Le maître et Marguerite, c'est de façon magistrale qu'il a décrit un tramway, un arrêt et… un chat. Mais revenons à notre histoire, car c'est à partir de cet instant qu'elle devient drôle et même très drôle. Quelques bus plus tard, notre ingénieur, attentif et patient, confirma le diagnostic. Mais il fallait encore découvrir la cause de ce phénomène extraordinaire : pourquoi les portes de l'armoire s'ouvraient-elles en même temps que celles du bus ? Il décida d'examiner la question de l'intérieur-même de l'armoire, espérant ainsi percer le secret du mécanisme. L'épouse se tint près du meuble, attendant elle aussi l'arrivée du prochain bus. C'est à ce moment que la porte de l'appartement s'ouvrit, laissant passer notre jeune époux rayonnant de plaisir de retrouver sa femme. Dès qu'il aperçut la belle armoire, il manifesta sa joie et avant même d'embrasser sa dulcinée, d'un geste rapide il ouvrit les portes. Quelle ne fut sa surprise face au tableau qui s'offrait à lui : un homme était à l'intérieur, à genoux ! L'ingénieur comprit très vite la situation et ne laissant aucun répit à l'époux stupéfait, il lui dit d'une voix monocorde et sourde : «Je sais à l'avance que vous n'allez pas me croire, et je le comprends très bien. Mais avant que vous ne fassiez quoi que ce soit, je vous prie de m'écouter. Je vous jure sur ce que j'ai de plus cher au monde que, dans cette position et en ce lieu, je ne fais rien d'autre qu'attendre le bus !». Pour mieux goûter au piquant de la situation, nous conseillons à nos chers lecteurs de faire l'effort de traduire la dernière phrase en arabe populaire bien de chez nous. - P. S. : de nombreux concitoyens utilisent le mot «Etat» au féminin et ils nous balancent des expressions du style : «L'Etat elle doit… !», c'est pourquoi nous attendons avec impatience que des amis psychanalystes avisés nous expliquent ce qu'il y a derrière tout cela.