Les deux dernières histoires dites à la Kheiredine nous ont valu de nombreuse réactions aussi chaleureuses et sympathiques les unes que les autres. Les lecteurs qui redécouvrent Kheiredine Ameyar et ceux qui le découvrent à leur tour se rejoignent pour nous dire combien ils sont frappés par son humour vagabond, son imagination fertile et surtout son amour de la fiction comme tous les grands cinéastes et c'est pourquoi nous donnons aujourd'hui la troisième histoire. Elles sont fortes les femmes. Elles ont souvent des idées audacieuses et ne reculent devant rien pour les concrétiser. Il en est ainsi de cette nouvelle mariée, belle et intelligente, qui avait du mal à supporter les absences répétées de son mari. Elle sentait que ce dernier lui échappait. Il rentrait de plus en plus tard et quelque peu éméché, il allait dormir trop tôt. Elle avait pensé naïvement que la naissance de l'enfant le retiendrait et nourrirait leur amour de nouveau. Rien n'y fit. Quelques semaines plus tard, les mauvaises habitudes avaient repris et elle sentait son mari lui filer d'entre ses bras une nouvelle fois. N'en pouvant plus, notre dame décida alors d'avoir une discussion avec son époux. Un soir, après l'avoir convaincu de s'asseoir un moment pour l'écouter, voilà ce qu'elle lui dit : «Je me demande ce qu'il y a de particulier dans ton bar, ce qui te plaît et te retient. Si tu veux, à partir de demain, j'en crée un à la maison, qui sera sans doute plus agréable et plus accueillant.» Interloqué et curieux, notre ami accepta la proposition. Le lendemain, après la sortie du boulot, il rentra directement chez lui. Un spectacle inouï s'offrit à ses yeux, un petit comptoir était installé dans un coin du salon avec un magnifique tabouret haut, la lumière était tamisée, une sono discrète diffusait un air de jazz langoureux. Son épouse, plus belle que jamais, vêtue d'un tablier digne des grands professionnels, se tenait derrière le comptoir. Tout en le vouvoyant, elle lui souhaita la bienvenue et lui proposa une carte avec un grand choix de consommations. La seule règle qu'elle fixa, ce qu'il accepta immédiatement, était qu'il devait payer cash ses tournées quotidiennes. Tout se passa très bien pendant des jours et des semaines. Le climat était serein, les discussions riches, le couple retrouvé. Ils parlaient de tout, politique, économie, sport, culture, voisinage, embouteillages. Elle remarqua que le sujet préféré de son mari était le sport et particulièrement le foot. Elle passa alors des heures à potasser le sujet, lisant des journaux et des revues spécialisés, écoutant ou regardant les émissions de radio et de télé. Elle demandait même des infos aux jeunes du quartier en se rendant au marché. Ainsi, tout allait pour le mieux jusqu'à ce samedi fatidique, lendemain de la cuisante défaite du Mouloudia, 6 à 0 face à la JSK. Ce soir-là, la discussion fut tendue. Notre ami, ayant perdu la tête tant il était chauvin, s'échauffait et le ton montait de plus en plus. En fin de soirée, ils se retrouvèrent à se chicaner sur le nombre de tournées. Elle en exige treize, lui répétant sans cesse qu'il n'y en avait que douze. Tout n'était que cris et vociférations quand, ayant soudain retrouvé un réflexe de gentleman, le monsieur se calma et accepta de régler les treize consommations. Mais, d'un ton ferme, il tint à conclure en ces termes : «Ecoutez madame, moi je suis un homme, j'ai une parole. J'accepte donc de payer. Mais soyez sûre d'une chose, je ne remettrai plus les pieds chez vous !»