Moncef est un Tunisois de trente ans. Ses amis algérois le reçoivent chez eux et ils décident tous de «sortir en boîte». Ils se rendent au cabaret le plus en vue d'Alger. Cette boîte de nuit n'a rien à envier à celles de «là-bas». Jeux de lumières hypersophistiqués, scène dotée d'équipements sono dernier cri, pistes de danses multiples, enceintes acoustiques très puissantes, etc. Les clients attablés dans une semi-pénombre étaient visiblement éméchés et vociféraient pour se faire entendre. La salle était enfumée et sentait la sueur. Des fausses blondes, maquillées et habillées avec ostentation, passaient entre les tables. Toutes demandaient du feu pour allumer leurs cigarettes. C'était, pour ces entraîneuses, le coup classique pour aborder le client. La chanteuse arriva enfin et une musique d'enfer s'abattit sur l'assistance. C'était plutôt du bruit. La Chebba beuglait plutôt qu'elle ne chantait et les paroles, tout à fait décousues, relevaient plus du bestial que du vulgaire. Les délicates oreilles tunisoises de Moncef en rougissaient. Les pistes étaient encombrées et tout le monde se trémoussait à qui mieux mieux sous l'œil vigilant des videurs. Soudain, la musique s'arrêta subitement. Moncef qui dansait, crut que c'était une panne. Il vit que tous les autres danseurs avaient rejoint leurs tables. Un de ses amis l'entraîna vers la sienne. Il ne savait pas ce qu'était une «tebriha». Il regardait, médusé, la chanteuse crier qu'untel offrait mille dinars en l'honneur de flen et feltène, contre Zid et Bouzid et qu'il «brûlait» la chanson. Ses amis lui expliquèrent qu'il fallait payer le double si l'on voulait contrer le donateur et réécouter la même chanson. Un autre fit interrompre une autre chanson pour faire crier qu'il louait la piste et que personne ne pouvait y danser sans son autorisation. Il fallait payer le double pour le contrer. Moncef, qui était venu pour danser et s'amuser, passa la soirée à écouter des bouts de tapage musical entrecoupés de «tebrihate» saugrenues, où il était toujours question de sommes d'argent de plus en plus importantes. Deux clients chauffés par leurs entraîneuses respectives et qui dépensèrent une fortune en vinrent aux mains et l'un d'eux, le plus désargenté, fut jeté dehors, sans ménagement. L'entraîneuse qui le chaperonnait, jura ses grands dieux que son «begar» allait revenir avec plus d'argent et qu'il allait se venger par des «tebrihate» dont on se souviendra.