Au moment où la révision constitutionnelle permettant au président Bouteflika de briguer un troisième mandat est au cœur du débat national, le nouveau livre de Khalfa Mammeri, Les constitutions algériennes : histoire, textes et réflexions, arrive à point nommé pour jeter un éclairage scientifique, distant et, donc, objectif sur la question. Le spécialiste du droit annonce la couleur dès l'introduction de son ouvrage en écrivant que “l'Algérie ait consommé quatre constitutions en à peine vingt ans (…) prouve bien à quel point le pays a été instable politiquement et qu'il n'a toujours pas trouvé de solution durable au problème central des institutions”. Et d'enfoncer le clou : “Aucune Constitution ne ressemble à l'autre comme s'il s'agissait de 04 pays différents.” Le “défaut rédhibitoire” des différentes Constitutions est, selon M. Mammeri, celui d'être faites pour “gérer la situation du moment et exaucer les volontés du dirigeant en place”. Mais il n'ira pas jusqu'à leur dénier tout intérêt. Bien au contraire. “Elles ont été des jalons dans l'histoire du pays et (…) constituent des enseignements fondamentaux dans les sciences humaines, notamment dans les études de droit en science politique, dans les écoles de journalisme..”, estime-t-il. La méthodologie suivie par M. Mammeri pour décortiquer son sujet est toute simple : replacer chaque Constitution dans son contexte historique, en donner le texte intégral avant de le soumettre à l'analyse. La Constitution de 1963 a, soutient M. Mammeri, consacré le régime de parti unique tout en signant le triomphe d'Ahmed Ben Bella sur ses adversaires dans la course folle au pouvoir engagée en été 62. Du point de vue de M. Mammeri, la Constitution de Ben Bella, simple et souple, se distingue par 3 caractères majeurs : la reconnaissance formelle des droits fondamentaux, le monopole du pouvoir du parti unique et le césarisme du chef de l'Etat. Certes, quelques beaux principes démocratiques sont consacrés dans cette constitution, mais dans les faits, ils sont loin d'être appliqués car, explique M. Mammeri, “le seul pouvoir qui existe est celui du chef de l'Etat”. Un constat qui lui a inspiré cette opinion : “Cette première Constitution algérienne n'a rien à voir avec aucun des régimes classiques : présidentiel ou parlementaire. Ce n'est pas davantage un régime mixte ou intermédiaire…, mais un régime autoritaire d'une seule personne.” Après 11 ans de règne sans partage et en dehors de toute institution élue, le président Houari Boumediene s'est enfin astreint, en 1976, à doter le pays d'une nouvelle Constitution. Selon Khalfa Mammeri, deux facteurs ont pesé dans la décision de Boumediene : les menaces extérieures nées de la nationalisation des hydrocarbures en 1971 et la dislocation du groupe d'Oujda. “Si Boumediene s'est résolu à donner au pays une Constitution 11 ans après le coup d'Etat du 19 juin 1965, c'est que d'une certaine manière, les évènements l'y avaient contraint et quelque chose de grave s'est passé au sein du groupe qui lui avait permis de prendre le pouvoir et de le contrôler aussi longtemps et sans partage”, estime-t-il. Qualifiée de “rigide et dogmatique”, la Constitution de 1976 est, selon lui, portée par deux grandes idées directrices : le socialisme et le pouvoir personnel. Quant aux libertés publiques, aux droits de l'Homme et à la séparation des pouvoirs, la Constitution de Boumediene en a fait l'impasse. Or, explique-t-il, “une bonne constitution se juge sur 02 critères : l'étendue et le respect des droits de l'Homme et la séparation et l'équilibre des pouvoirs”. Ce qui a amené M. Mammeri à qualifier le régime instauré par cette Constitution de “régime personnel constitutionnalisé”. Comme les précédentes, la Constitution de 1989 est le fruit amer d'une grave crise : les émeutes du 05 Octobre qui, de l'avis de M. Mammeri, trouvent leur explication dans 05 causes : “l'immobilisme politique, l'impasse économique, la dégradation des conditions de vie, la crise morale et les maladresses calculées (?) de Chadli.” Ceci dit, M. Mammeri la trouve “novatrice” et “révolutionnaire” comparées aux deux précédentes. De son avis, la Constitution de 1989 se distingue par les caractéristiques suivantes : une construction juridique logique, l'abandon du parti unique et la naissance d'un multipartisme surveillé, la répudiation de l'idéologie socialiste et, enfin, la séparation des pouvoirs. La Constitution de 1996 est, elle aussi, née dans un contexte de crise : la violence islamiste et le vide constitutionnel connu alors par le pays des suites de la démission de Chadli. Conforté par une élection “pluraliste et transparente” et bénéficiant de l'appui de l'armée, le président Zeroual s'est sacrifié “à une mode sinon à un travers typiquement algérien” en donnant à son tour une nouvelle Constitution au pays. Le jugement de M. Mammeri sur ce texte de loi est sans appel : c'est une Constitution de plus et un édifice assez vain, lourd et coûteux par des innovations aussi complexes qu'inutiles. S'il reconnaît à la Constitution de 1996 bien des mérites (la constitutionnalisation des partis politiques, la limitation des mandats présidentiels, la vacance de la fonction présidentielle mieux réglée), il n'estime pas moins qu'elle est lestée de beaucoup d'innovations négatives (l'introduction du bicaméralisme, la désignation du tiers présidentiel, l'affaiblissement du pouvoir législatif, la saisine du conseil constitutionnel, l'élimination du président de l'APN de l'ordre de succession,..). Mais il reconnaît à Zeroual “le mérite ineffaçable” d'avoir constitutionnalisé “l'idée impensable en pays arabe que le président de la République ne peut, ne doit faire que deux mandats”. Ce qui ne l'a pas empêché de considérer les Constitutions de 1989 et de 1996 comme étant les mieux adaptées aux problèmes du pays même si elles appellent un toilettage. Comme correctifs à ces constitutions, M. Mammeri a fait part de quelques propositions comme le retour au monocaméralisme, le maintien de la mesure limitant les mandats présidentiels tout en ramenant la durée du bail à 4 ans et la promotion du conseil constitutionnel en organe suprême de garantie, de protection et d'arbitrage. Si à ses yeux la Constitution de 1996 “est trop circonstancielle pour être reconduite sans modifications profondes pour dépasser la crise qui l'a fait naître”, il estime que “la révision constitutionnelle ne doit plus être un recours intempestif selon les majorités du moment”. L'explication ? “Toute Constitution a besoin de durée et de respect”, estime-t-il. Et de conclure sentencieusement : “Le problème le plus grave de l'Algérie, c'est l'absence de respect de ses lois par ses propres dirigeants.” Arab CHIH