La promotion du patron du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), Mohamed Mediene, dit Toufik, au grade de général de corps d'armée a pratiquement relégué au second plan l'annonce officielle du projet de révision de la Constitution par le président de la République. Journalistes et observateurs politiques ont été surpris d'entendre pour la première fois à la télévision nationale le nom du responsable des services secrets algériens, repris également par l'agence officielle APS. Ce qui aurait pu passer pour une simple cérémonie militaire sous d'autres latitudes, où les dirigeants des services de renseignements sont connus de tous, a pris chez nous l'allure d'un événement hautement politique. Le général Toufik a ceci de particulier qu'il est le plus célèbre des inconnus du bataillon. L'imaginaire collectif des Algériens lui prête un pouvoir supraprésidentiel au point de faire la pluie et le beau temps. Il serait ainsi celui qui fait et défait les présidents. Bref, l'homme et son appareil, le DRS, symbolise ce que certains appellent le « pouvoir occulte » ou le « pouvoir réel ». Le nom de ce haut gradé de l'armée à qui l'on prête une « grande intelligence » est associé à tort ou à raison à tous les bruissements du sérail politique algérien. Dès qu'un couac est signalé au sommet de l'Etat, journalistes et analystes lorgnent de manière quasi pavlovienne vers les Tagarins, siège du ministère de la Défense, où le puissant Toufik est censé avoir un bureau. Depuis sa prise de pouvoir à la tête de l'ancienne sécurité militaire en 1989, Mohamed Mediene a été élevé par la vox populi au rang de véritable patron du pays. Un mythe fortement entretenu par le fait que l'homme n'apparaît jamais en public, ni à la télévision. Le fait est que tous les généraux majors, y compris ceux qui ont eu à gérer les services secrets algériens, ont fini par être projetés normalement sur la place publique, à l'image de Mohamed Betchine, mais pas Toufik. Le fantôme de ce général hante tous les Algériens sans qu'ils l'aperçoivent un jour. L'homme des services s'est totalement confondu avec sa fonction et son institution, comme s'il devait vivre éternellement caché. Une pratique sans doute héritée de l'école soviétique où les « Moukhabarat » sont entourées d'une immense chape de plomb. C'est pourquoi le seul prononcé du nom de Mediene à la télévision est en soit un événement national dans un pays qui a si maladroitement éloigné les Algériens d'une institution de la République qui aurait pu être « normale ». En le promouvant au grade de général de corps d'armée, le président Bouteflika a tiré quelque peu Toufik de l'ombre. C'est peut-être également un signal fort que la « guéguerre » supposée entre les deux hommes, et qui fait les choux gras des médias français notamment, ne serait finalement qu'une farce destinée à amuser la galerie ou une vue de l'esprit. Le général Toufik, présenté comme celui qui aurait parrainé à deux reprises la candidature de Bouteflika à la présidence de la République, est ainsi très bien récompensé. Cette promotion donne en tout cas l'image d'une Algérie où le Président et la hiérarchie militaire, y compris le DRS, sont tout à fait sur la même longueur d'onde, contrairement à l'idée entretenue jusque-là. Cela serait peut-être la marque de la fin d'une époque ou du début d'une nouvelle ère.