Près de dix mois après la dissolution du fameux service central de la police judiciaire rattaché au Département du renseignement et de la sécurité (DRS), sur fond de guerre ouverte au sommet du pouvoir à la veille de l'élection présidentielle, il revient sous une autre dénomination : Service d'investigation judiciaire (SIJ). Une nouvelle marque pour de nouvelles missions visiblement réduites. La réactivation de cette structure est amputée de la branche «lutte contre la corruption» qui a miné le pouvoir de l'intérieur, car à l'origine de l'éclatement des scandales de grande corruption qui ont mis en cause des dignitaires du régime.Qu'est-ce qui aurait motivé alors la réapparition de ce pôle qui a explosé en plein vol, avant même que la justice passe et que la vérité éclate sur les affaires de corruption ? S'agit-il d'un retour en force du patron du DRS, le général de corps d'armée Mohamed Mediène, vertement attaqué par le clan présidentiel durant les semaines précédant l'élection présidentielle ? Ou bien la re-création de ce pôle obéit-elle strictement à des impératifs sécuritaires ? Peut-être les deux à la fois. Rachid Grim, professeur de sciences politiques, estime que la création de ce service d'investigation est «nullement un retour de bâton, mais la démonstration que la Présidence a repris le dessus». Il décèle une velléité de confiner les services de renseignement aux seules missions d'enquêtes militaro-sécuritaires. «Le clan présidentiel veut un service d'investigation de moins en moins autonome et surtout sans droit de regard sur les dossiers nocifs pour le régime (les affaires de corruption)», professe-t-il. Certes, selon le décret présidentiel, le service d'investigation du DRS est «habilité uniquement à traiter des affaires en relation avec la sécurité du territoire, le terrorisme, la subversion et le crime organisé». Cependant, il n'en demeure pas moins que le patron des services de renseignement, le général Toufik, aura la haute main sur cette structure, comme le souligne bien le décret dans son article 11, qui stipule clairement que «l'organisation de ce service ainsi que les attributions de ses composantes sont fixées par le chef du Département du renseignement et de la sécurité». Et si les enquêtes sur la corruption dans le domaine économique ne sont pas évoquées comme faisant partie des attributions du SIJ, il reste que les notions sont vagues et sujettes à interprétation pour inclure des affaires relevant de la grande corruption qui pourraient attenter à la sécurité nationale. Big Brother is watching you C'est l'avis du politologue Ahmed Adimi, qui estime que «la prévention contre les crimes économiques et la lutte contre la corruption sont du domaine de la sécurité nationale, donc naturellement faisant partie des prérogatives du SIJ ; il faut garder à l'esprit que la sécurité est une notion globale». L'universitaire, ancien officier supérieur de l'ANP, juge que le retour de cette structure est dicté par des impératifs sécuritaires. «La création du service d'investigation judiciaire s'explique par le fait qu'au sommet de l'Etat, on s'est rendu compte de la dégradation de la situation sécuritaire dans la sphère régionale, ce qui appelle des services de renseignement efficaces et qui doivent travailler sans parasitage. Le pays est ouvert aux quatre vents», analyse M. Adimi. Ce dernier, qui rappelle les conditions dans lesquelles le service central de la police judiciaire a été dissous par le clan présidentiel, estimant que la reconduction de Bouteflika à la Présidence «est subordonnée à l'affaiblissement du DRS», considère que l'entourage présidentiel «est conscient que la situation interne est peu rassurante et veut se prémunir contre une éventuelle explosion sociale en dotant le DRS d'une mission de concourir à la prévention et à la neutralisation de toute action subversive et hostile dirigée contre les institutions de l'Etat». Big Brother is watching you ! Une telle mission peut s'avérer menaçante pour les libertés publiques, car elle peut arbitrairement s'étendre à la répression des forces politiques et sociales opposées au régime en place. D'autant que les notions politiques peuvent donner lieu à des interprétations judiciaires aussi vagues que floues.