La Libye continue à sombrer dans le chaos avec des assassinats et des rapts quasi quotidiens, en plus de la guerre du général Haftar contre les terroristes d'Ançar Charia à Benghazi l Pourtant, un nouveau Parlement vient d'être élu le 25 juin. Tripoli (Libye) De notre correspondant La sécurité est le principal souci en Libye, même si la population continue à vivre sa vie de manière quasi normale, laissant croire à l'indifférence des Libyens par rapport aux risques sécuritaires. «Nous sommes dans l'obligation de composer avec les dangers en matière de sécurité», explique Jamel, 46 ans, guide touristique spécialiste des sites archéologiques et parlant quatre langues (français, anglais, italien et allemand). Jamel s'est reconverti en chauffeur travaillant pour les journalistes étrangers, très nombreux à visiter la Libye depuis le déclenchement de l'insurrection contre El Gueddafi le 17 février 2011. Mais, la situation sécuritaire s'est détériorée depuis près d'une année, selon Jamel, désormais hanté par la peur de se faire attaquer. «Je ne peux plus me permettre de faire le trajet de Syrte à Tripoli de nuit comme ce fut le cas en novembre 2012», explique-t-il. «J'étais pourtant accompagné par quatre journalistes étrangers, dont deux femmes, et je me sentais suffisamment en sécurité pour faire ce voyage», précise-t-il. Qu'est-ce qui a changé en Libye en 2013 pour que le Libyen lambda ne se sente plus en sécurité ? Pour les analystes et les observateurs, le vote par le Congrès général national (CGN) de la loi d'exclusion des prétendus «vestiges du régime déchu», le 5 mai 2013, a constitué un tournant. En effet, cette loi a ouvert la voie à l'exclusion de plusieurs personnalités de premier plan du nouveau paysage politique, dont l'ex-président du CGN, Mohamed Megaryef, 13 autres membres du CGN et d'autres personnalités. «Ce sont les islamistes du Parti de la justice et de la construction, estampillé Frères musulmans, et du Bloc de la fidélité aux martyrs de la révolution (complaisant avec les terroristes d'Ançar Charia) qui ont fait pression (par les armes) pour faire passer cette loi afin de domestiquer le CGN», observe le politologue Ahmed Drid, doyen de la faculté de droit de Ghariane. «Cette décision a déstabilisé l'équilibre des forces, déjà fragile, en Libye», ajoute-t-il. Rupture de l'alliance sacrée Pour donner assise à son état des lieux, Ahmed Drid présente l'évolution des alliances en Libye ayant amené à la chute d'El Gueddafi. «Après la prise du pouvoir par le Conseil national de transition (CNT) à Tripoli, l'installation d'un gouvernement provisoire a nécessité une alliance sacrée de toutes les forces ayant le plus contribué à la chute d'El Gueddafi, notamment à Zentane, Misrata et Benghazi, qui ont disposé des relais nécessaires pour mettre la main sur Tripoli. Les tribus d'e Djebel Al Gharbi ont durement combattu les forces loyalistes, avec une mention spéciale pour les héroïques combattants de Zentane. Avec les gouvernements de Abderrahim Al Kib et de Ali Zeydan, ce sont les rebelles de Djebel Al Gharbi qui ont constitué le noyau dur des fameuses forces d'Al Kaâkaâ et du régiment 32 de la nouvelle armée nationale. Ces rebelles sont présents en force parmi les unités du ministère de l'Intérieur. Pour ce qui est des rebelles de Misrata, ils constituent l'épine dorsale du Bouclier du centre de l'armée nationale libyenne, alors que les rebelles de Benghazi ont continué à représenter l'Etat à l'Est, comme cela a été le cas depuis le début de l'insurrection le 17 février 2011. C'est donc sur cette alliance que se sont appuyés les gouvernements de la révolution», observe le politologue. Avec l'adoption en mai 2013 de la loi d'exclusion, remarque Ahmed Drid, cette sainte alliance a été rompue. «Remarquez que les assassinats ont commencé en juin 2013. La crise des ports pétroliers a commencé en août 2013, en même temps que les tiraillements autour du gouvernement de Ali Zeydan et les tentatives de le destituer. Les islamistes du PJC et le Bloc de la fidélité à la révolution voulaient faire main basse sur le pouvoir, alors que les forces de Zentane et Benghazi se sentent exclues», observe le politologue. «C'est à ce moment-là, aussi, que se sont exprimées les velléités séparatistes des fédéralistes de Barqa», ajoute-t-il. La réalité, en Libye, montre qu'à partir de l'instant où l'alliance a été rompue entre les combattants d'armes ayant fait chuter El Gueddafi, rien ne va plus dans le pays. «La production pétrolière a chuté de nouveau à moins de 200 000 barils par jour, alors qu'elle était revenue en mars 2012 autour de 1,5 million de barils, soit un seuil avoisinant la production quotidienne avant la chute d'El Gueddafi», remarque l'économiste Aymen Farhani. «L'Etat libyen n'a plus de ressources suffisantes pour subvenir à ses charges. Le gouvernement provisoire a demandé à puiser dans les réserves de l'Etat pour payer les fonctionnaires. Or, il y a un conflit d'intérêt entre le gouverneur de la Banque centrale libyenne, proche de Misrata et des islamistes, et le chef du gouvernement provisoire, proche de Zentane et de Benghazi. La vie économique et sociale en Libye s'est retrouvée prisonnière de ce conflit», regrette l'économiste. Velléités séparatistes Le professeur Ferhani déplore ainsi le fait que «le gouvernement de Abdallah Thaney n'avait pas les mains libres pour se procurer les moyens et la logistique nécessaire pour renforcer les capacités en ressources humaines et matérielles de l'armée et des forces de sécurité. D'où la faiblesse extrême des institutions sécuritaires de l'Etat». Pour lui, «cette crise financière a eu aussi des répercussions sur la situation sécuritaire». En politique, les observateurs pensent que les élections du 25 juin de la Chambre des députés viennent certes au bon moment, si l'on en juge par l'usure de la légitimité du Congrès général national et la nécessité d'insuffler du sang neuf aux institutions de l'Etat. «Le mandat du CNG a expiré le 7 juillet 2013 et son auto-prolongation a expiré, elle aussi, le 7 février 2013. Donc il est grand temps pour changer. Mais les nouveaux élus auront-ils la capacité de faire changer les choses sur les plans sécuritaire et économique ?», s'interroge la juge de Benghazi, Naïma Jibril. «Il ne suffit pas de gagner les élections. Il faudrait, surtout, parvenir à doter le pays d'institutions», souhaite-t-elle, sceptique, quant à la possibilité d'un tel changement à moyen terme.