D'abord, un rectificatif. Mohamed Mechati, qui vient de décéder dans un hôpital genevois, n'est pas le dernier des Vingt-deux, qui ont préparé le déclenchement de la lutte de Libération en 1954. Que Dieu prête vie à ceux qui sont encore parmi nous : Zoubir Bouadjadj, Amar Benaouda, Abdelkader Lamoudi et Athmane Belouizdad. Mechati est mort à l'âge de 93 ans. On ne le reverra donc plus, celui qui promenait sa silhouette, cheveux blancs au vent, sur la principale artère d'Alger, la rue Didouche Mourad, qu'il arpentait souvent, un livre ou un journal à la main. Mechati avait passé son enfance à Annaba où, dans le cadre de cadre de l'apprentissage, il a pu passer un test pour devenir chaudronnier. C'est dans cette ville qu'il connaîtra les affres de la domination coloniale. Après, il se déplacera à Constantine où une bonne partie s'installera. Il aimait dire qu'il préférait la justice à sa mère. Fidèle en amitié, il avait fait le forcing pour rendre un vibrant hommage à son supérieur, le moudjahid Gheras Abderrahmane, dont il ne tarira pas d'éloges en lui consacrant un bel écrit pathétique. Il y a quelques jours, nous nous sommes rencontrés à Alger, pour un honneur mérité dédié à la moudjahida Drif Zohra. Avec la fougue qu'on lui connaît, si Mohamed insistait constamment sur le rôle des historiens et sur la nécessité d'écrire les nobles pages de la glorieuse Révolution. Car seul le passé, selon lui, peut nous édifier sur notre avenir. Et un pays sans mémoire est un pays sans âme, répétait-il. Si Mohamed avait un angle d'attaque jusqu'à en faire une obsession face au FLN authentique dont il n'avait nul besoin de souligner les mérites, il stigmatisait les rôles peu glorieux des FLN(s) qui se sont succédé depuis l'indépendance et qui sont à l'origine de la régression peu féconde que l'on connaît. L'ouverture démocratique ne le rassure pas outre mesure. Il est évoqua l'ère du multipartisme unique. Si Mohamed était comme ça, entier et multiple, qui n'a pas sa langue dans sa poche et ses vérités il les assène crûment, sans fioritures. Un jour, au lendemain du «portrait» (El Watan du 10 décembre 2009) que j'avais brossé de lui, il m'appela pour me dire que le titre de l'article lui allait comme un gant. Le titre en question «Révolté plus que révolutionnaire», il l'avait trouvé conforme à son parcours heurté où, après sa démobilisation au lendemain de la Seconde guerre, il opta pour le PPA, se fit l'ami de Boudiaf et milita farouchement pour la cause nationale. Il fit partie de l'Organisation spéciale du CRUA et compta parmi les «22 déclencheurs». Il poursuivit sa militance au sein de la Fédération de France, pays qu'il rallia pour des soins. Arrêté, il fut incarcéré à plusieurs reprises pour ne recouvrer sa liberté qu'en 1961. A l'indépendance, il occupa plusieurs postes importants dans la diplomatie, en étant notamment ambassadeur. Au début des années 1980, alors qu'il était établi en Suisse dans le cadre de ses fonctions de consul général à Genève, il eut une mission ponctuelle assez spéciale qu'il m'avait racontée avec un brin d'humour. Il avait été chargé de transmettre la convocation de la Cour des comptes à Abdelaziz Bouteflika, qui entamait sa traversée du désert mais résidait à Genève. Nul besoin d'en révéler les péripéties… Mechati, personnage controversé, n'hésitait pas à s'appuyer sur la presse pour faire paraître des points de vue précieux mais peu indulgents vis-à-vis d'un pouvoir qu'il a toujours vertement critiqué. Il était profondément incrusté dans le combat pour la démocratie, contre le quatrième mandat et il l'a fait savoir en interpellant la grande muette qui a fait la sourde oreille... Mechati est connu aussi pour la virulence de ses propos et de sa posture vis-à-vis de certains de ses frères de combat qu'il ne ménagera pas, à l'instar de Mohamed Boudiaf, son chef et son mentor, qu'il affubla du titre peu engageant de «dictateur». Né dans une famille modeste du Constantinois en 1921, Mechati, ulcéré par les scandaleuses disparités entre les colons et les indigènes, par les discriminations flagrantes et par le mépris du colonialisme, s'est «révolté naturellement» car, comme il le concédait, «c'est le contraire qui aurait été surprenant». La vie a été un long fleuve tumultueux où la lutte n'a pas été un vain mot. «Nous avons obtenu l'indépendance, certes, mais l'essentiel, c'est-à-dire la construction d'un Etat fort et moderne, reste à faire», ne cessait-il de clamer avec son air de poète maudit et ses longs cheveux aux quatre vents… Adieu Si Mohamed. Nos sincères condoléances à son épouse et à ses deux enfants.