Le défi de l'heure, insiste Mouloud Hamrouche, est dans l'élaboration d'un «nouveau consensus national qui doit tenir compte de l'intérêt de l'ensemble des composantes sociales du pays». Il faut se rendre à l'évidence que nous sommes dans une impasse», a assené Mouloud Hamrouche lors d'une conférence-débat qu'il a animée dans la soirée de jeudi à l'hôtel Royal, sur invitation de l'Association des journalistes et correspondants de Béjaïa. M. Hamrouche, qui soutient que «le pays est plus fragile qu'il y a 25 ans (et que) le régime est aussi fragile que le pays», estime qu'«il n'est pas dans l'intérêt de l'armée de rester figée dans la situation actuelle». Il réitère son appel en direction de cette dernière, qu'il considère comme «un acquis précieux nécessaire au pays et à l'Etat mais pas au pouvoir». Et c'est pourquoi il dénie au pouvoir le droit de «s'amuser» avec l'armée nationale. «C'est un acquis précieux qui doit servir de clé de voûte à l'Etat et non au pouvoir», a insisté le conférencier, qui a tenu à préciser au public nombreux venu l'écouter, qu'il n'est pas «venu faire l'éloge de l'armée» mais attirer l'attention sur le fait que «l'ANP est un acquis national». Pour lui, on ne peut espérer une solution à la crise ailleurs qu'auprès de l'institution militaire. La raison en est qu'il y a incapacité de la classe politique à s'organiser. «Quand les forces politiques ne sont pas assez fortes, assez organisées, assez nationales, seule l'armée a aujourd'hui ces caractéristiques», déclare l'ex-Premier ministre, dont l'appel du pied à l'ANP a fait réagir certaines voix politiques. «On se demande, devant ce vide, pourquoi je fais appel à l'armée. Comme s'il y a des forces politiques et que j'ignore. Il faut qu'on se mette tous à dire à l'armée : c'est votre devoir de ne pas laisser le pays aller à la dérive», s'est défendu Mouloud Hamrouche. «Aujourd'hui vous pouvez le faire, demain ce sera peut-être impossible», en avertissant de l'urgence de l'implication de l'institution militaire, il précise qu'il n'y a pas, dans ses propos, un appel à sortir dans la rue. «Ce n'est pas ça la solution», dit-il ; la solution est dans «un consensus national». «Qu'on discute entre nous, plaide-t-il, de ce que nous voulons faire pour notre pays, pour nos enfants. Nous avons plus de chances de construire quelque chose maintenant parce que demain ce sera impossible.» Pour Mouloud Hamrouche, la classe politique traverse une crise qui empêche de s'appuyer sur elle si le régime venait à s'effondrer. «Tous les partis politiques sont en crise, y compris le FLN, le RND et les partis qui soutiennent le gouvernement. Visiblement, on a des difficultés à faire vivre des débats sereins et démocratiques à l'intérieur des partis politiques», soutient l'ex-chef de gouvernement des réformateurs. Il ne veut pas donner l'impression de jeter la pierre à l'opposition : «Je ne critique pas l'opposition, j'essaie de dire que nous n'avons pas d'autre choix que de mobiliser cette opposition. Et pour pouvoir mobiliser, il faut regarder la réalité en face.» Outre l'inquiétude que suscite l'impasse, la réalité est aussi menaçante, soutient-il : «La menace est là puisque cette impasse dure depuis une vingtaine d'années et pousse à l'implosion. Et s'il y a implosion dans le désordre, nous allons aussi vers une nouvelle catastrophe parce qu'on ne sait pas sur quoi nous allons déboucher.» Le défi de l'heure, insiste Mouloud Hamrouche, est dans l'élaboration d'un «nouveau consensus national qui doit tenir compte de l'intérêt de l'ensemble des composantes sociales du pays». Des initiatives ont été prises dans ce sens, dont la conférence nationale de la Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique (CNTLD) à laquelle M. Hamrouche a pris part. «La Coordination essaye de construire un consensus, le FFS aussi a une idée de faire une conférence de consensus. J'aimerais bien que les autres partis qui sont dans le pouvoir emboîtent le pas et organisent un débat entre eux.» Mais M. Hamrouche ne se fait pas d'illusion quant à la capacité de telles initiatives à apporter, à elles seules, la solution, bien que croyant à l'utilité d'«accompagner, aider la société, laisser les élites s'organiser et débattre du devenir du pays» pour «éviter les errances d'hier et les déchéances du passé». Le pouvoir ne pouvant se réformer de lui-même, la classe politique en crise ne pouvant également imposer le changement et au-delà de l'appel sans écho à l'armée, quelle solution préconise M. Hamrouche qui ne s'empêche pas, toutefois, d'assener que «le pays est candidat à l'implosion» ? «Pour survivre, il faut changer de formule, de méthode. Il faut faire adhérer le maximum d'Algériens au nouveau consensus national ; sans cela, on ne peut pas s'opposer à l'effondrement», répond-il, voyant déjà les prémices de cet effondrement. Il considère que «la démocratie a besoin d'un Etat fort» qui ne peut être «un Etat idéologique ou politique, mais un Etat de tous les Algériens». L'ex-directeur du protocole sous Chadli note que «les Etats post-indépendance sont sur le point de s'effondrer» et que l'Algérie est épargnée par la grâce d'«atouts», «entre autres une population qui a été élevée, surtout les nouvelles générations, dans la revendication et continue à lutter et donc empêche les grandes dérives». «Mais jusqu'à quand ?» s'est interrogé M. Hamrouche, qui rappelle que «cela fait un quart de siècle que le pays est bloqué par une crise violente qui a engendré des minicrises à l'intérieur des institutions du pays, des partis politiques, des dysfonctionnements du gouvernement, de l'économie et dans la société. Une crise coûteuse et ruineuse qui n'a pas influé d'un gramme sur notre manière de voir, de comprendre, d'analyser et de gouverner le pays». Pour le conférencier, il ne s'agit pas de changer des hommes, mais des pratiques. «Les administrations pérennes de l'Etat ont été phagocytées par des réseaux d'intérêt, par les abus du pouvoir… Elles ne sont plus des outils de l'Etat, elles sont devenues des outils du politique au pouvoir», dénonce-t-il, soulignant que «le pouvoir ou le régime ce n'est pas les hommes en place, c'est une somme de règles qui sont dépassées et qu'il faut changer». «Ces réseaux d'influence à la fois claniques, d'argent, d'intérêt, de famille n'ont pas de projet pour gérer le pays. Ils ne regardent pas les 40 millions d'Algériens et le passé douloureux de cette population, ils sont en train de regarder simplement leurs intérêts», renchérit-il, se désolant que «chez nous, nous avons des députés mais pas de Parlement, des ministres mais pas de gouvernement». Pour Mouloud Hamrouche, ce n'est pas l'argent, seul ou associé au pouvoir, qui pose problème, mais plutôt «l'exercice du pouvoir par la corruption». «On interdit de s'opposer à la corruption. On est en train de nous convaincre que la corruption existe partout dans le monde. Ça n'existe pas, je regrette ! On voit ce qui se passe en France y compris vis-à-vis d'un chef d'Etat qui a quitté le pouvoir il y a à peine deux ans. Il est entre les mains de la justice. Ce qui veut dire qu'on n'abdique pas devant la corruption», assène-t-il.