Mercredi dernier, le juge français Marc Trévidic, chargé de l'enquête sur l'assassinat des moines de Tibhirine, exprimait publiquement son ressentiment contre les autorités algériennes qui, selon lui, ne lui ont toujours pas transmis une invitation officielle. «Je n'ai pas de date. Je ne comprends pas ce qui se passe (…) En septembre-octobre, une bonne fois pour toutes, il va falloir savoir si on se moque de nous ou pas», avait-il déclaré à la presse française. Contactées, des sources judiciaires proches du pôle pénal spécialisé d'Alger chargé de l'enquête (judiciaire) sur ce crime odieux qui a bouleversé le monde entier en mai 1996, ont donné un autre son de cloche. Sous le couvert de l'anonymat, celles-ci expliquent : «Il faut savoir que cette affaire est gérée par le ministère de la Justice, qui traite avec son homologue français. Au début, il y avait une réserve sur les demandes du juge français qui concernait uniquement l'exhumation des têtes. Il n'était pas question de confier cette opération à des experts que Trévidic s'est proposé de ramener. Toute la procédure d'autopsie et d'expertise sera assurée par une équipe de médecins légistes algériens, qui ont les compétences et les moyens. Bien évidemment, le juge français assistera à toutes les étapes, sans aucun problème. Les deux parties se sont donc entendues sur ce principe, en attendant de mettre en place toutes les conditions nécessaires.» Nos interlocuteurs précisent que cette affaire a déjà été instruite à Médéa et que certains mis en cause, surtout ceux qui ont assuré le soutien aux auteurs, ont été jugés et condamnés. «C'était vers la fin des années 1990, les principaux auteurs avaient pour la plupart été tués soit dans des opérations militaires, soit exécutés par leurs acolytes. Avec la loi sur la concorde civile, des terroristes repentis ont apporté de nouveaux éléments qui ont suscité la réouverture de l'affaire en 2004 et 2005. De nouvelles révélations sur l'enlèvement et l'assassinat des moines ont pu être obtenues. Et c'est durant cette période que le juge Jean-Louis Bruguière est venu et a eu accès à toutes les informations. Quelques années après, le tribunal de Médéa s'est désisté du dossier au profit du pôle pénal spécialisé d'Alger, qui a chargé un juge de reprendre l'affaire à zéro. De nombreux terroristes repentis ont été auditionnés, mais aussi d'autres, qui sont encore en détention», révèlent nos sources. Cependant, les informations obtenues «ont levé le voile» sur une partie de cette affaire que «seuls les Français connaissent bien», à savoir les négociations entre ces derniers et Djamel Zitouni, ancien émir du GIA, autour de la libération des moines, qui semblent, à en croire nos interlocuteurs, «très importantes pour l'éclatement de toute la vérité et rien que la vérité». Commission rogatoire En effet, de nombreux repentis, y compris parmi les plus proches de Zitouni comme Fethi Boukabous (son bras droit), avaient fait état de tractations au quartier général de Zitouni entre ce dernier et un émissaire français ; ces tractations n'ont finalement pas abouti, mais ont plutôt accéléré l'exécution des otages. C'est pour connaître cet épisode de la tragédie vécue par les moines que le juge du pôle spécialisé d'Alger a transmis une commission rogatoire à la justice française, lui demandant l'audition de deux personnages-clés dans le dossier : Pierre Le Doaré, ancien chef d'antenne des services secrets français (DGSE) à Alger (1994-96) et Jean-Charles Marchiani, ancien officier du même service et ex-préfet du Var. Dans ses déclarations à la presse, ce dernier avait clairement accusé le ministre français des Affaires étrangères de l'époque, Alain Juppé, d'avoir «signé l'arrêt de mort» des sept moines de Tibhirine «en stoppant net la mission de négociation» qu'il menait et qui étaient, selon lui, «sur le point d'aboutir». Pour sa part, Pierre Le Doaré avait mis en cause son gouvernement en déclarant : «Plusieurs rapports avaient été émis du poste d'Alger durant l'affaire mais aucun n'a été versé à la procédure.» Il avait rappelé le contenu du rapport qu'il a rédigé sur sa rencontre avec Mustapha Abdallah, émissaire du GIA, un ancien agent de l'ambassade de France à Alger, dont le dossier a mystérieusement disparu. Son frère faisait partie des quatre terroristes abattus en 1994 par le GIGN à la suite du détournement de l'Airbus d'Air France. Pour le juge du pôle pénal, précisent nos interlocuteurs, il est important que les deux parties en quête de vérité puissent aller sur un pied d'égalité : «Tout comme de l'autre côté on veut entendre une vingtaine de personnes pour savoir ce qui s'est passé entre le 26 mars et 30 mai 1996, tout comme du côté algérien, il est important que le juge sache ce qui a pu se passer entre la DGSE et les auteurs de l'enlèvement.» Nos sources précisent que, jusqu'à ce jour, aucune réponse n'a été donnée aux autorités judiciaires émettrice de cette commission rogatoire. A en croire nos interlocuteurs, «il n'y a aucune raison qui pourrait empêcher Trévidic de poursuivre son enquête en Algérie et, à ce jour, aucune date pour sa visite n'a encore été arrêtée. Il faudra juste attendre que, du côté du pôle pénal, le dossier soit finalisé pour réunir toutes les conditions d'une exhumation des têtes par des experts algériens, en présence du juge français».