La DGSN est l'une des plus imposantes institutions du pays. Une organisation tentaculaire. Tant d'hommes qui remplissent les rues quotidiennement mais qui demeurent si difficiles d'approche. Soyons clairs, dès le départ, dans ce reportage, il ne sera pas question d'arrestations sensationnelles ou de filatures intrépides, il ne sera pas question non plus d'immersion palpitante dans un Alger pseudo-chaotique. A priori, c'est une histoire ordinaire, la rupture du jeûne dans un barrage de police, pour en savoir un peu plus sur ces hommes en bleu souvent inaccessibles. Rencontres. Vendredi 13, à 19h. ramadhan 1435 : Barrages de police d'ouled ouchayeh Les visages ne sont pas crispés, malgré l'inéluctable fatigue d'une fin de journée de travail dans les conditions ramadhanesques. Une ambiance plutôt décontractée règne. A 1 heure 30 de la relève et à 1 heure 13 de la rupture du jeûne, le lieutenant Mouhfid, 42 ans, supervise aujourd'hui 66 barrages de police établis sur Alger. Il arbore une mine sereine, un sourire contagieux et une disponibilité sans faille, ce sera notre hôte pour ce reportage. «Le citoyen, est au centre de notre préoccupation, notre méthode passe par la prévention, la sanction dans le cadre de la loi et le dernier recours», rassure le lieutenant Mouhfid. Il se dirige vers Achraf, le chef du barrage, qui lui fait son rapport : «RAS» - «Tout va bien ?» - «Oui, chef, rien à signaler.» - «On vous a apporté le f'tour ?» - «Oui, chef, ils viennent de le déposer.» - «Les rations sont complètes et chaudes, tout va bien, donc ?» - «Oui, chef, tout va bien, rien à signaler !» - «Pouvons-nous contrôler ?» - «Oui, chef, bien sûr !» C'est dans le fourgon de police garé en amont du barrage que se trouve le précieux f'tour. Un plateau-repas composé de boulettes de viande, une salade, une chorba, du riz, une banane, du pain et une bouteille d'eau, tout ça conditionné par un traiteur. Le f'tour contrôlé, l'action continue. Le lieutenant propose de se rendre à un autre barrage : «nous allons voir le barrage de Aïn Naadja, c'est un grand point de contrôle». Vous l'aurez compris, l'immersion est rigoureusement téléguidée. Un tour dans le 4X4 de la police nationale Dans les quartiers, on l'appelle lem'wechma (la tatouée) en référence aux insignes sur la tôle des 4x4 de la police, de leur couleur bleue qui rappelle les tatouages faits en prison. A bord, les hublots proposent une autre vision de la ville, une fascinante sensation de supériorité se propage dans le véhicule, les routes s'ouvrent, les automobilistes cèdent le passage. «Parfois, ils le forcent, ils créent le désordre sur leur passage» lance une automobiliste rencontrée à quelques mètres du barrage d'El Mouradia, quelques heures plus tôt. Une automobiliste pressée et pas très conciliante avec les forces de l'ordre. Pourtant, face à des embouteillages interminables, c'est souvent le seul moyen d'arriver à bon port et dans les délais. La loi l'a prévu : les véhicules de police sont prioritaires. Dans le 4x4 qui roule à toute allure, on parle peu. Le devoir de réserve sur certaines questions s'en ressent. En ce mois de Ramadhan, les tensions sur la route sont à leur summum. La radio raisonne fort, les messages des talkies-walkies paraissent inaudibles tant le son est mauvais. Après quelques minutes, l'oreille intègre le rythme et le vocabulaire utilisé se banalise, au fil des minutes qui passent, les messages deviennent clairs, on parle d'altercation entre automobilistes. «Au mois de Ramadhan, ce genre de problèmes sont récurrents, l'agent de l'ordre, dans ce cas, essaye toujours de régler les choses à l'amiable. Dans 80% des cas, c'est réglé sur place», explique de manière pédagogique le lieutenant Mouhfid, assis à l'avant. Il est entré dans la police, il y a neuf ans après avoir achevé ses études en droit et passé son CAPA. De son avis, il continue de pratiquer le droit, à sa manière. «Je me suis enrôlé dans la police par amour du terrain, je me sens plus utile en pratiquant le droit sur le terrain» confie-t-il. La visite guidée se poursuit, le 4x4 arrive au point de contrôle de Aïn Naadja. Ici, le superviseur en chef explique qu'il gère trois points de contrôle simultanément. «Au mois de Ramadhan, les contrôles d'automobilistes ont une vocation préventive, il est très rare de dresser des procès-verbaux». Effectivement, quatre heures d'immersion, aucune arrestation, pas même un PV. Le lieutenant Mouhfid précise qu'il «y a un briefing général des troupes de forces de l'ordre, avant qu'elles rallient leurs positions. La consigne au mois de Ramadhan est claire : punir moins, prévenir plus». Toujours souriant, il entreprend de poursuivre la tournée. Direction vers le barrage de police de Chevalley, près du stade du 5 juillet. Vendredi 13, à 19h58. Ramadhan 1435 : Barrage de police du rond-point du 5 juillet A l'approche du barrage du 5 juillet, une agitation se laisse voir au loin, le lieutenant semble surpris, et pour cause, une dizaine de caméras sont brandies, toutes les chaînes télévision locales sont présentes, des preneurs de son et des photographes de la police remplissent le rond-point à eux seuls. Il semble qu'une couverture médiatique se prépare. A la question «la presse est-elle présente sur invitation de la DGSN ou sur demande des chaînes TV ?», le lieutenant ne répond pas. Encore le devoir de réserve. Un peu plus tard, un commissaire principal de la cellule de communication de la DGSN explique que c'est une opération organisée par les services de la DGSN, afin de sensibiliser l'automobiliste sur les risques de la vitesse aux alentours de l'heure de la rupture du jeûne et de cette nervosité ambiante. «Une khaïma est installée chaque vendredi au niveau des barrages principaux à l'échelle nationale» explique le même commissaire. «Les khaïmas proposent un iftar (ndlr : dîner de rupture du jeune) complet, gracieusement offert et identique à celui dont disposent les agents de police ; les retardataires encore sur la route peuvent venir s'attabler et profiter paisiblement d'un moment convivial.» En effet, depuis quelques jours, divers témoignages de conducteurs attestent qu'ils se sont vus offrir une ration de lait et des dattes au moment de l'iftar. La DGSN aurait-elle initié une campagne de communication plus globale ? D'une part, dans un souci de prévention routière, comme le cite le commissaire plus haut ; d'autre part et surtout — et les caméras présentes le démontrent — pour redorer l'image de la police... La stratégie de communication de la DGSN semble avoir changé depuis l'accession du général Hamel à la tête de la DGSN. Ces dernières années, le fossé n'a cessé de se creuser entre la police et les citoyens. Une relation d'amour-haine se fait ressentir. Policier, le mal-aimé de la famille «Ce sont eux qui créent le désordre, ils usent de la force pour tout et rien. De plus, ils n'ont aucun rôle dans la sécurité de l'Etat» fustige une Algéroise qui avoue tout de même qu'elle ne s'est jamais faite maltraiter ou injustement verbaliser par un policier. Elle va même jusqu'à admettre que «je me sens plus en sécurité quand un policier est dans les environs». A l'image de dizaines d'autres témoignages similaires, l'Algérien semble redouter le policier en tenue, perçu comme un censeur qui contrôle sans humanité. L'Algérien semble aussi fasciné par leur côté héroïque, bravant l'insécurité mais doute souvent de leur impartialité. Afin d'y remédier, la DGSN joue la carte de la psychologie, dans la plupart des témoignages d'agents de l'ordre, durant ce reportage, l'aspect psychologique semble être primordial, briefing et débriefing rythment leurs rondes. «L'automobiliste algérien est exigeant, il aime qu'on le respecte et qu'on le lui explique les choses, beaucoup de ‘qdar' (ndlr : considération) est nécessaire», explique le chef de barrages. «Les contrôles se terminent dans 99% des cas très bien. Pendant le mois de Ramadhan, il est effectivement plus compliqué de gérer les tentions et la nervosité», ajoute-t-il. C'est souvent un rapport de force cordial qui lie le contrôleur au contrôlé. Vendredi 13, à 20h 13. Ramadhan 1435 : Rupture du jeûne au barrage 5 juillet Déshydratations et hypoglycémie font du jeûne de Ramadhan l'une des raisons principales de nervosité aussi bien chez les citoyens qu'au sein de la police. Derrière leurs uniformes, les hommes en bleu n'échappent pas aux lois de la nature, ni aux joies de l'iftar. Une ambiance bonne enfant plane dans la khaïma, le policier sert le citoyen attablé. Couverts, eau, pain, rien ne manque. Quelques citoyens de passage dégustent. Le travail du policier continue, allant inlassablement dans le sens des besoins d'un citoyen en quête de considération légitime d'une police désormais à son service. Et si, et si seulement ce moment pouvait s'extrapoler et s'étendre au-delà d'une campagne ramadhanesque !