Violence, maisons brûlées et familles sans toit. Depuis neuf mois, Ghardaïa crie sa détresse. Reportage sur un drame humain endémique. «Et dire que j'ai participé à la construction de la plupart des ensembles d'habitations de Ghardaïa et des nouvelles cités. Me voilà aujourd'hui, au crépuscule de ma vie, obligé de quitter ma demeure, louant, avec ma maigre retraite, ce modeste studio. Une pièce-cuisine, pour sauver ma famille.» Amer, Aâmi Salah, originaire de Souk Ahras, a passé toute sa vie à Ghardaïa. Il y habite depuis les années 1970, après avoir sillonné les grands chantiers du Sud avec la plus grande entreprise de l'époque après la DNC, l'ex-l'ETTS. «Ils sont venus la nuit avec des cagoules et m'ont donné 24 heures pour quitter ma maison dans le quartier d'El Korti alors que nous étions déjà assiégés depuis plus de deux semaines, ne pouvant sortir du côté de Châabet Telli, ni de Belghenem et encore moins de Bin Djabline. Je n'y ai plus remis les pieds à ce jour…», ajoute-t-il. Puis, sur un ton plus mélancolique, il laisse tomber dans un murmure : «A près de 80 ans, je n'ai plus rien à Souk Ahras. Je me retrouve entre l'enclume et le marteau. Mes enfants m'en veulent de n'avoir pas prévu de partir plus tôt. C'est le mois de Ramadhan le plus amer de ma vie, et Dieu sait que j'en ai passé quelques-uns sur des chantiers difficiles, dans des bases de vie loin de tout, sans famille, mais c'était plus facile à supporter que cette situation de réfugié dans son propre pays.» Comme lui, ils sont nombreux à crier leur douleur depuis des mois sans que les autorités locales trouvent une solution. Entassés Aïcha, originaire de Constantine et cadre dans l'une des administrations de la wilaya de Ghardaïa, a vécu l'horreur dans le quartier de Châabet Ennichène : «C'était en pleine nuit du 23 février, lorsque de stridents cris ont déchiré la nuit. Mon mari et moi avions été réveillés. Depuis la terrasse, nous avons découvert l'horreur des flammes qui montaient de partout dans des maisons toutes proches.» Tout à coup, la porte de leur maison a été défoncée par une masse de jeunes encagoulés qui les ont sommés de partir sur-le-champ. «Ils nous ont interdit d'emporter le moindre objet. Dans la rue, des dizaines de femmes, d'enfants et d'hommes couraient dans tous les sens, ne comprenant pas ce qui leur arrivait. Ma maison et celles appartenant aux Arabes vivant dans ce quartier ont été pillées, saccagées et incendiées», révèle-t-elle Il ne restait que des murs noircis et des amas de meubles complètement consumés. Ainsi, 23 ans de vie dans cette ville sont partis en fumée en une nuit. Cependant, grâce à l'aide de bienfaiteurs, les premières semaines sans toit sont passées en communauté. «L'Etat n'a jamais demandé après nous, nous sommes complètement abandonnés. Hébergés dans une école de Châaba avec des dizaines de familles entassées dans des classes dépourvues de tout, nous avons décidé avec mon conjoint de nous en remettre à Dieu et avons loué chez des particuliers et tentons de reprendre une vie presque normale», indique-t-elle. Abandonnés A l'école Chahid Gabani de Mermed, une trentaine de familles de ce quartier dont les maisons ont été incendiées continuent de vivoter. Les chefs de famille, à notre passage, étaient pour la plupart sur leur lieu de travail, il nous a été interdit de rentrer pour constater de visu les conditions de vie de ces réfugiés : «Excusez-nous, mais ce n'est pas possible que vous entriez. Notre société conservatrice ne le permet pas. Vous auriez dû vous faire accompagner par une journaliste.» Vingt-neuf familles, une cinquantaine d'enfants y vivent. Elles n'ont plus rien et attendent que les autorités daignent s'intéresser à leur cas, les reloger dans des quartiers sécurisés. «Les conditions de vie sont pénibles, cela fait plus de 5 mois que nous sommes ici dans une promiscuité et une situation sanitaire difficile. Nous nous serrons les coudes et tentons de nous entraider pour passer ce mois de Ramadhan le moins péniblement possible.» La foi en Dieu, un certain fatalisme ressort des témoignages de ces âmes meurtries par l'agression, le mépris et cette situation de SDF qui perdure sans espoir de voir le bout du tunnel. A l'école Abderrahmane El Korti, à l'entrée du ksar de Melika qui commence à partir du carrefour Merrakchi au bas du quartier de Theniet El Makhzen, juste dans le quartier de Tichrihine qui borde l'oued M'zab, une dizaine de familles mozabites avaient subi les affres des incendies de leurs maisons. Elles ont trouvé refuge dans cet établissement scolaire et, depuis, les portes sont restées closes avec interdiction totale d'y pénétrer. Les familles sont de plus en plus réticentes à s'ouvrir aux médias. Elles sont de plus en plus enclines à cacher cette souffrance qu'elles partagent en silence dans les murs d'une dizaine d'écoles. C'est un drame dissimulé, comme pour ne pas étaler une misère exacerbée par la chaleur estivale. Une douleur qui se veut discrète, mais qui rappelle qu'il s'agit de familles chassées de chez elles, souvent de maisons louées à des particuliers, mais dont l'incendie a tout pris, y compris les papiers d'identité pour certains. Ces familles se retrouvent, du jour au lendemain, démunies de tout. Pendant ce temps, les autorités locales brandissent des statistiques d'aides qui ne veulent absolument rien dire tant la détresse de ces gens est vive et la plaie béante.