Le soleil frappe fort en ce début d'été. Pour autant, la ville de Ghardaïa n'a pas retrouvé la sérénité, tant souhaitée par les habitants. La perle du Sud a vu son étoile pâlir. L'ambiance des soirées aérées, après une sieste reposante, a également disparu. L'ambiance colorée que connaissaient les souks légendaires de cette ville, on ne la retrouve nulle part. Le décor est triste. Des dizaines de véhicules des services de sécurité sont stationnés sur les principales rues et ruelles de la ville. Le déclenchement des hostilités entre les deux communautés a eu comme première conséquence le partage « physique » de la ville en plusieurs parties. La migration des familles et la fermeture des commerces ont été très importantes. De nouveaux quartiers sont nés, et dans d'autres, la crainte et un nouveau décor se sont installés. Des marchés informels ont poussé comme des champignons. Après avoir perdu leurs locaux, des commerçants n'ont trouvé d'autre solution que d'occuper les trottoirs dans les lieux désertés il y a quelques mois. Ainsi, Thenia El Makhzen s'est complètement métamorphosé. Les vitrines ont complètement disparu. Le commerce informel s'est développé à la faveur de cette situation pour répondre aux besoins des habitants. En outre, plusieurs quartiers, notamment ceux touchés par les événements, à l'exemple de Thenia El Makhzen, Chaâba, Melika, Haï El Moudjahiddine, Korti, Mermed, El Hofra, et tant d'autres sont actuellement occupés par une seule des deux communautés. L'accès est totalement interdit à l'autre communauté. Gare à celui à qui viendrait l'idée de traverser la route. Il se fera caillassé par des individus qui sont difficilement identifiables. Certains arrêts de bus ont été délocalisés pour mieux répondre aux nouveaux itinéraires « sécurisés » de la ville. Les bus ont également changé de couleurs. Ceux des Mozabites arborent à l'avant un tapis peint. Les bus de l'Entreprise de transport urbain de Ghardaïa (Etug) sont escortés par un véhicule de la police sur certains tronçons. Au vieux marché de la ville, l'opération de réhabilitation des façades a commencé, dans le souci évident d'effacer les traces des incendies et des saccages. Le souk est cerclé par les véhicules de la Gendarmerie nationale qui veillent sur les lieux, de jour comme de nuit. En lieu et place des magasins, il y a maintenant un grand parking. L'appel lancé par les Châambis pour boycotter les commerçants mozabites a été, en partie, entendu. L'activité commerciale est quasiment morte. « Je viens juste de rouvrir mon magasin. J'avais un commerce à la place de l'Andalouse qui a été incendié. J'attends de recevoir l'aide de l'Etat (70 millions de centimes, ndlr) après avoir déposé un dossier à la wilaya. Ce n'est pas suffisant, mais c'est mieux que rien », nous dit un jeune commerçant rencontré à la rue Djebline-Belghanem, un quartier mozabite, transformé en ruelle commerciale, très animée. De nombreux commerçants ont trouvé refuge dans cette zone, jadis quartier résidentiel. Selon notre interlocuteur, la jalousie est l'une des principales causes des affrontements entre les deux communautés. « Je travaillais sans arrêt alors que les autres campaient devant mon magasin toute la journée. Ils me surveillaient tout le temps. Mon commerce a été parmi les premiers à être saccagé », raconte-t-il. Pour joindre le centre-ville, les Mozabites se déplacent très tôt le matin et empruntent des ruelles fréquentés exclusivement par leur communauté. Les Chaâmbis font de même. Les femmes se rappellent encore des moments de terreur qu'elles ont vécu. « Avant d'incendier la maison, les jeunes pénètrent à l'intérieur et demandent aux femmes et aux enfants de sortir. Ils mettent le feu aussitôt, devant nous, impuissants et choqués. » Le danger est loin d'être totalement écarté. « Nous ne sommes pas en sécurité dans les bus et dans la rue. Les jets de pierres et les caillassages n'épargnent personne », précise une habitante des lieux. Cette dame, qui a vu sa maison incendiée, sa famille déplacée vers un autre quartier et ses enfants changer d'école, ne cherche que la paix. « Nous voulons vivre en paix, c'est tout ce que je souhaite », lance-t-elle. Mais la crise entre les deux communautés n'a pas épargné les autres populations vivant à Ghardaïa. « Ma famille est de Laghouat. J'ai vécu et grandi ici, mais depuis quelques mois, nous sommes en train de réfléchir à y retourner pour ne plus vivre dans la peur et le stress », nous dira une jeune infirmière. Les membres des deux communautés passent des nuits blanches de peur de se faire attaquer. Ils surveillent leurs enfants, notamment les jeunes de peur de les voir impliqués dans les affrontements. « Cela fait 6 mois que je ne ferme pas l'œil. J'ai peur d'une attaque contre ma maison. J'ai peur aussi pour mes enfants qui ont perdu une année scolaire et qui passeront des examens l'année prochaine », confie une femme, les larmes aux yeux. Les habitants de Ghardaïa dénoncent aussi la « manipulation » et les tentatives d'amplification des faits à travers les réseaux sociaux et les médias. « Ghardaïa croulera sous les effets de ses oueds ou de ses enfants. » Ce vieil adage revient dans toutes les bouches en ces moments difficiles. Après les inondations ravageuses de 2008, puis la crise de Berriane en 2009, voilà une nouvelle vague de violence qui vient secouer la région.