L'Algérie a été, dès le lendemain de l'indépendance, victime des choix opérés par ses dirigeants, qui ont pris le pouvoir par la force. Les institutions qui ont servi d'architecture à son système politique sont tout droit sorties du modèle colonial français, caractérisé par une centralisation jacobine de l'administration, une personnalisation du pouvoir, un sectarisme culturel et linguistique, une pratique frauduleuse du jeu électoral et un mépris total de la société. Ce modèle, imposé par le groupe d'Oujda porté par l'armée des frontières et incarné par le duo Ben Bella-Boumediène était, à l'évidence, porteur de violence et ne pouvait, en aucun cas, répondre aux besoins d'un pays caractérisé par l'immensité de son territoire et ses corollaires, la pluralité de ses cultures, la diversité de ses attentes et le poids de ses besoins. Les dirigeants algériens fraîchement autoproclamés comme tels, les armes à la main, se montrant révolutionnaires dans leurs discours, mais totalement archaïques dans leurs actes, s'affirment pour la libération des peuples, mais assujettissent lourdement le leur, se positionnent en médiateurs pour les pays en conflit, mais fomentent des troubles au sein du leur, font de l'Algérie une terre d'asile pour les opposants des pays étrangers, mais oppriment ou assassinent leurs propres compétiteurs… Le duo putschiste dirigeant et tous ses comparses ont tous agi en égocrates, ne voyant dans les intérêts de l'Algérie que les intérêts officiels et personnels, ce qui explique ce comportement schizophrène qu'affichait cette Algérie post-indépendante factice et protocolaire et qui a largement déteint sur les agissements des tenants actuels du pouvoir. Nourris à l'idéologie panarabiste emphatique, caractérisée par un orgueil nationaliste démesuré, gavés de la propagande socialiste chargée de paternalisme autoritaire, ils sont restés figés dans une vision unique des problèmes sociétaux qui étaient pourtant multiples et différents selon les régions, selon les générations ou selon les priorités. Leurs modèles triomphalistes étaient l'URSS, les démocraties populaires de l'Europe de l'Est aux régimes dictatoriaux et les pays panarabistes où régnaient sans partage le parti Baath, qui a conduit à la création de la RAU (République arabe unie). Un patchwork d'autocraties, regroupant les régimes les plus despotiques, les plus sanguinaires installés suite à des coups d'Etat en l'Irak, en Syrie et en Egypte et dont le duo Ben Bella-Boumediène, ainsi que Mouammar El Gueddafi, étaient les vassaux. Ils sous-traitaient avec zèle l'essentiel de leur politique sectaire arabo-islamique qui a fait le lit de l'intégrisme destructeur dont pâtissent cruellement aujourd'hui tous ces pays. En octobre 2002, Ben Bella a voté de façon ostensible aux élections plébiscitant Saddam Hussein en Irak, confirmant, si besoin était, sa soumission aux régimes moyen-orientaux ! Le sort tragique que l'histoire a réservé à toutes ces Républiques démocratiques et populaires du Nord comme du Sud-Est est à la mesure de la violence immodérée que leurs dirigeants ont infligée à leurs peuples. Il ne pouvait pas en être autrement. Les mêmes causes produisent les mêmes effets : les formes de conquête et d'exercice du pouvoir par tous ces dirigeants imbus de leur personne et ivres de leur idéologie présentent des similitudes criantes, à savoir la tyrannie, le caporalisme, l'omnipotence, la force brutale contre les opposants, minorités ethniques ou linguistiques, société civile, journalistes, etc. C'est dans ce climat de violences institutionnelles sans bornes que les communautés berbérophones ont été sommées de mettre en sourdine leurs droits à leur langue, à leur culture, à leur histoire, à leurs spécificités. Revendiquer tamazight comme langue algérienne conduisait tout droit devant la cour de sûreté de l'Etat ! Vouloir en faire une langue nationale et officielle était tout bonnement considéré comme une folie, comme acte de trahison à briser avec force, à tuer dans l'œuf. L'Algérie, qui a proclamé Gamal Abdel-Nasser et à sa suite le duo Ben Bella-Boumediène et leurs successeurs, est arabe et musulmane. Chercher à désensevelir ses vraies racines, à diffuser sa langue ancestrale, à parler de choix politiques était un acte séditieux et sécessionniste.«L'Algérie algérienne», comme l'ont clamé, en vain en 1949, les berbéro-nationalistes du PPA-MTLD, était à leurs yeux une hérésie, une abjuration, une apostasie ! Et en tentant de faire entendre raison, ces «hérétiques» et leurs successeurs l'ont payé de leur vie. Les tenants de l'Algérie arabe ont triomphé et leurs disciples d'aujourd'hui triomphent toujours et restent sourds aux clameurs du pays réel et insensibles aux conséquences désastreuses que subissent les nations arabo-centriques qui nous ont inoculé cette idéologie ethno-théocratique d'une intolérance virulente. Hier, nous étions sous la férule de la RAU, aujourd'hui sous celle des Emirats. Hier, nous étions dans l'arabo-socialisme, aujourd'hui dans l'arabo-bigotisme. Tout se passe comme si le sang des Algériens qui devait fertiliser l'avenir est versé pour le stériliser, comme si notre victoire sur le système colonial nous est devenue un fardeau, comme si l'Algérie avait vocation à être une éternelle province des empires. Alors comment mettre fin à cette tragique dérive ? Comment échapper à cet engrenage mortifère qui pousse d'année en année l'Algérie dans la descente aux enfers ? Comment sortir des tricheries, des camouflages et rendre possible la résurrection de l'Algérie algérienne ? Sans nous regarder en face et accepter d'être enfin nous-mêmes, sans nous débarrasser des liens aliénants avec lesquels le Moyen-Orient nous a terriblement enchaînés, sans une introspection lucide, immédiate et sur tous les plans, sans toutes ces démarches simples mais courageuses, rien n'engagera le pays sur le chemin de l'espérance. Tamazight avec un statut de langue nationale et officielle dans la Constitution serait un pas vers une issue encourageante. Cette reconnaissance suivie d'une application tangible et durable ne peut plus être contournée, ne peut plus attendre, ne peut plus être considérée comme un vœu antinational. Aucun prétexte ne peut être désormais recevable pour lui ôter sa légitimité, aucun obstacle ne peut encore être toléré pour prendre toute la place qui lui est due. Le charivari autour de pseudo-problèmes techniques ou d'écriture est, à l'évidence, un leurre inopérant, il ne servira à rien de l'invoquer, c'est une démarche qui incombe aux spécialistes amazighs, à eux seuls. Se soustraire à l'exigence historique d'officialisation et de l'application concrète de celle-ci, c'est prendre directement le chemin de la tragédie que vivent les pays du Moyen-Orient, trop longtemps modèles de nos dirigeants. Plus de 10 000 personnes ont déjà signé une pétition pour tamazight langue officielle dans la nouvelle Constitution, parmi lesquelles des femmes et des hommes, artistes, universitaires, militants, entrepreneurs… qui font, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays, l'honneur de l'Algérie et dont la liste est publique, disponible sur le site www.tamazight-officielle.com. Plus d'un demi-siècle après l'indépendance, pouvons-nous supporter encore un nouveau code de l'indigénat qui fera des amazighophones et des amazighophiles des citoyens entièrement à part ? Accepterons-nous à nouveau de regarder passer des Constitutions qui nous inscrivent comme des orphelins indignes d'une Algérie que nos pères, les pères de nos pères ont libérée au prix de sacrifices incommensurables ? Allons-nous admettre une solution à la marocaine qui exhume tamazight pour mieux l'enterrer, qui l'officialise pour mieux la disqualifier, qui l'intronise pour mieux la détrôner ? La balle est dans le camp des décideurs civils et militaires, mais aussi dans celui de la classe politique d'opposition et de la société civile. S'entêter à proscrire tamazight de sa propre terre, à ignorer avec arrogance la langue des colonels Amirouche et Si Haouès, à travestir sans retenue l'histoire de notre civilisation, l'une des premières de l'humanité, à effacer des textes officiels notre héritage linguistique, serait désormais irresponsable, irréparable, funeste. Personne ne peut plus dire nous ne le savions pas, personne ne pourra dire nous n'en avions pas mesuré l'urgence, personne ne pourra se soustraire à sa responsabilité historique ! L'heure est venue de faire de l'Algérie un havre de paix, un pays d'ouverture, une nation attractive. C'est alors, et seulement alors, que nous chanterons à l'unisson et pour de nobles idéaux «viva l'Algérie» !