Spécialiste du Proche-Orient et du conflit israélo-palestinien, Dominique Vidal observe que François Hollande a rompu avec la politique étrangère de la France impulsée par le général de Gaulle en 1967. - La politique française vis-à-vis du conflit israélo-palestinien a-t-elle changé avec François Hollande ? C'est le moins qu'on puisse dire, et cela n'a rien de surprenant. Lors d'une soirée avec Benjamin Netanyahu, à Jérusalem en novembre 2013, François Hollande s'était déclaré «toujours prêt à trouver un chant d'amour pour Israël et ses dirigeants». Cette formule, le président de la République en fait une politique, au risque de cautionner les crimes de guerre de l'armée israélienne. Jamais un dirigeant français n'avait aussi radicalement rompu avec l'orientation impulsée par le général de Gaulle en 1967 et suivie depuis par tous ses successeurs jusqu'à Jacques Chirac. - Quelle est votre analyse sur l'interdiction des manifestations pro-Palestine ? François Hollande et Manuel Valls ont choisi d'emblée d'appuyer sans nuance l'offensive israélienne contre la bande de Ghaza. Ils savaient évidemment que cette politique serait impopulaire dans une opinion largement favorable aux droits des Palestiniens – les trois quarts des Français prônent la création d'un Etat palestinien. Pour camoufler la fièvre, dit-on, on casse le thermomètre. C'est exactement le sens de l'interdiction des manifestations de solidarité. Paradoxalement, les dizaines de manifestations autorisées se sont tenues sans incident, tandis que celles interdites ont dégénéré... - Les médias se sont focalisés sur les violences qui ont eu lieu après les manifestations. Peut-on comparer ce qui s'est passé à Sarcelles avec les rixes de la rue de la Roquette à Paris ? Pour justifier ses mesures liberticides, le pouvoir a effectivement exploité les affrontements de la rue de la Roquette, à la fin de la manifestation du 13 juillet. Mais tous les témoignages – y compris celui du rabbin de la synagogue – confirment que celle-ci n'a pas été attaquée. C'était (les vidéos le montrent) une provocation de la Ligue de défense juive, un groupuscule violent d'extrême droite. Il en est allé autrement à Sarcelles, où des groupes de jeunes ont incendié des commerces tenus par des Juifs et même jeté des cocktails Molotov en direction de la synagogue. -Y a-t-il un regain de l'antisémitisme en France avec ce qui se passe actuellement à Ghaza ? Ces événements de Sarcelles posent une question sérieuse. Certes, nous sommes loin des pogroms évoqués par Roger Cukierman, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). Et toutes les enquêtes sociologiques décrivent un antisémitisme marginalisé, alors que l'islamophobie ne cesse de se répandre. Reste que les horribles images qui nous parviennent chaque jour de Ghaza suscitent une grande colère. Et que le soutien inconditionnel du CRIF à l'offensive d'Israël alimente l'amalgame entre Israéliens et juifs. D'autant que Benjamin Netanyahu lui-même ne cesse de décrire Israël comme «l'Etat du peuple juif». Il est donc temps que chacun prenne ses responsabilités. Que les organisateurs de manifestations renforcent leur vigilance. Mais aussi et surtout que les responsables nationaux et communautaires, au lieu de jeter de l'huile sur le feu, s'engagent pour un cessez-le-feu immédiat et pour la levée du blocus illégal de Ghaza.