Oxilebo se dirigea vers la place qui lui était dévolue, c'est-à-dire le grand tombeau qui dominait toutes les autres tombes du cimetière.Oxilebo se dirigea vers la place qui lui était dévolue, c'est-à-dire le grand tombeau qui dominait toutes les autres tombes du cimetière. Oxilebo releva les pans de sa djellaba immaculée, disposa son tapis de prière sur le marbre frais de la sépulture, s'installa en tailleur et se mit à observer les drôles de gens qui arrivaient au fur et à mesure que la nuit tombait et que les morts commençaient à donner des signes de vie par l'intermédiaire de quelques feux follets qui s'enflammaient çà et là, dans ce lieu abandonné par les vivants. Tous ces gens qui le rejoignaient étaient des artistes, qui venaient faire montre de leurs arts sans être inquiétés par les sbires de la terrible Musiquitate. Le roi Kulturnix de ce pays n'aimait pas la culture et avait décrété la peine de mort immédiate pour tout individu qui oserait s'adonner à une quelconque activité artistique. Le roi détestait la musique, la poésie, la danse, bref toutes sortes d'extravagances, bizarreries et autres excentricités. Oxilebo était le roi des artistes. Bien qu'ignorant toutes ces formes d'art, il était vénéré et respecté par les marginaux qui n'attendaient que le moment suprême où Oxilebo daignerait ouvrir la bouche et proférer des chapelets de mots qui donneraient naissance à une phrase magique, sublime. Oxilebo était un philosophe Oxilebo posa successivement sa main droite sur son cœur, ses lèvres et son front, puis d'un geste gracieux lança ce salut que tout le monde attendait. La fête pouvait commencer. Elle dura tard dans la nuit. Les voix, les sons, les peaux de tambourin, les souffles des fifres, le cliquetis des bracelets des danseuses se mélangeaient aux croassements des crapauds et aux hululements des hiboux, dérangés par ces êtres bizarres qui troublaient la quiétude et le silence de ce lieu. La première balle forma une auréole rougeâtre sur le front d'une danseuse qui s'affaissa lentement sur le sol poussiéreux. D'autre tirs claquèrent et d'autres corps tombèrent. La musique cessa. Oxilebo regardait cette terrible scène qui se déroulait là, sous ses yeux, les cadavres de ses amis de fête, d'amour et de joie, que les gens de la Musiquitate entassaient pèle-mêle dans des camions militaires. Oxilebo avait tellement de larmes dans les yeux que cela allait déborder. Oxilebo ouvrit la bouche et dit : « Heureusement que je ne suis pas là ! »