On a tout pris à Armand Vial, on lui a pris trente ans de travail. Quoi de plus terrible que d'être éloigné de sa passion, voire sa seule raison de vivre ? Ne lui reste que le Pont suspendu Sidi M'Cid, où il ne manque pas d'aller fréquemment, comme certains de ses personnages, comme un confident, une épave pour un naufragé, un lieu de pèlerinage, ou un repère aérien mais dont la solide présence fait de Constantine la Céleste, l'Ecrasante. On a tout pris aussi à beaucoup de personnages des six nouvelles composant son recueil intitulé La Céleste et le Contenair. Ceux de la première nouvelle Aux marches du Rocher, Kader, Warda, Samy, Idir… Ex-émigré à la retraite, universitaire, prostituée, jeune en mal de voyage ou d'émigration, se trouvent sur le carreau, sur une voie de garage, précisément sur une marche, ils sont là à attendre, attendre quoi ?… Marche, carton et personnages, Beckett ou Godot ne sont pas loin. Lorsqu'il est revenu à sa ville natale, Constantine, en 2011, Armand Vial, retraité et artiste photographe, après l'avoir quittée adolescent, était à mille lieues de ce qu'il y vivrait comme déboires. Ils briseraient les nerfs de bien des gens. Il avait fait venir son atelier et sa bibliothèque dans un contenair, qui est retenu au port de Skikda à ce jour. «Motif officiel : un vide juridique», comme le souligne la préface de Omar Timengache. Tout a été essayé pour en récupérer le contenu, comme dirait l'autre, mais rien n'y (a) fait. Cet atelier et cette bibliothèque était destinés à faire profiter des jeunes Algériens. Finalement, aux dernières nouvelles, l'on apprend qu'il a dû payer des milliers d'euros et des milliers de dinars pour reprendre «ce qui est» emprisonné dans cette caisse métallique et que la Douane la lui a restituée. Tout le livre ou presque est hanté par ce contenair : «pensée obsédante». L'œil de l'artiste photographe observe tout. Les six nouvelles sont autant de reportages sur sa ville natale, si l'on enlève le côté romanesque ou la promesse de romance ; car rien n'aboutit, comme si tout était lié au déblocage du contenair. Tout est consigné noir sur blanc avec, en filigrane, un ton doux, une tendresse pour sa ville et ses habitants. Cela va des tares de la société aux scènes quotidiennes absurdes, aux marchés informels vantant et vendant les produits made in China ou Turkish, en passant par les immondices jonchant les balcons, les escaliers et le trottoir. Cependant, on peut lire dans la préface : «Il ne se veut pas juge, ni habité d'un quelconque sentiment de nostalgie, ni encore porteur d'un quelconque message. Dans sa ville, il déambule et il regarde». D'ailleurs, l'écrivain ne fait que confirmer ainsi ce qui se dit quotidiennement dans les journaux, et principalement le sien préféré : El Watan. Ce dernier fait même l'objet d'une nouvelle. «… Son titre sonnait bien à l'oreille. El Watan ! Comme une promesse, une amicale injonction à se mettre debout. Rien de vulgaire, de populiste, de guerrier. Non ! Une promesse du matin… et c'était bon ! (…) Il en aimait généralement le ton qui correspondait un peu à son caractère…». En bon photographe, l'écrivain le (El Watan) voulait révélateur argentique, produit chimique, qui lui ferait apparaître Ourida. Sans préambule, sautant d'un genre à un autre, l'auteur nous rappelle Kateb Yacine ; ainsi, de la prose on passe au théâtre, puis à la poésie, puis à la prose… Au fait, il est passionné par une grande plume : Pascal Quignard, et surtout son dernier-né Les Désarçonnés, volume faisant partie de l'œuvre intitulée Dernier Royaume, sur lequel l'écrivain dit avoir presque terminé un projet portant le titre de Pierres Aïeules, soit plus de cinq cents photographies en écho à cette œuvre. Un parmi plusieurs projets séquestrés dans ce fameux container. On ne sait si Armand Vial a fait une chute de cheval, mais une chose est sûre, il est désarçonné. Car faire une chute de cheval et se relever, — si l'on n'y meurt pas bien entendu —, c'est créer, écrire, selon Pascal Quignard. Et c'est ce que fait Armand Vial. Suivent d'autres nouvelles : La chanson d'amour, L'Ecrasante, La guerba…